Du fromage au cannabis

Nathalie Pagé, agricultrice et avant-gardiste du CBD

  • Publié le 21 février 2021 à 02:57
  • Actualisé le 21 février 2021 à 06:57

Du fromage au cannabis "bien-être": la transition était risquée, mais l'agricultrice "rebelle" Nathalie Pagé a bravé le flou juridique pour devenir en France l'une des rares productrices de CBD (cannabidiol, molécule non psychotrope du cannabis), quitte à enfreindre la loi en pariant qu'elle finira par tourner en sa faveur.

Son chanvre ("cannabis" en latin) quasiment dépourvu de THC,la molécule psychotrope, la "militante" le fait pousser dans le Sud-Est en Drôme provençale, à la Ferme du Faucon à Bouvières sur des terres où broutaient encore des chèvres il y a cinq ans.

Le décès de son compagnon a conduit en 2016 cette "fille de la plaine" originaire du centre de la France, installée dans la "montagne" drômoise il y a 25 ans, à tourner le dos à ses bêtes et au Picodon, le fromage de chèvre du coin. Trop lourd, seule avec ses deux enfants Marius (21 ans aujourd'hui) et Félix (18 ans). "Les chèvres, c'est 7 jours sur 7; il ne faut pas être malade ni dormir le dimanche matin. Le chanvre, lui, ne crie pas", expose-t-elle à l'AFP.

Mais il peut attirer des ennuis. Si la quinquagénaire a le droit de cultiver son cannabis CBD, la molécule non psychotrope à laquelle sont attribuées des vertus relaxantes, elle ne doit pas commercialiser la fleur de la plante. Une impasse réglementaire qui interdit toute production française et que cette avant-gardiste a décidé d'ignorer.

Un choix osé. La Cour de justice de l'Union européenne a rappelé en novembre que le CBD n'est pas un stupéfiant et a jugé illégale la position de la France, qui interdisait jusqu'ici d'importer cette substance produite naturellement dans d'autres pays européens. Mais elle n'a pas tranché la question de la production.

La création d'une filière agricole "made in France" agite les députés français. Mercredi dernier, un rapport parlementaire a officiellement réclamé "l'autorisation de la culture (...) de toutes les parties de la plante de chanvre", y compris la fleur.

Si aujourd'hui Nathalie Pagé n'oublie jamais ses certificats et le résultat d'analyse de son chanvre avant de se rendre sur le marché de Crest, à une quarantaine de kilomètres, pour vendre ses produits (huile, macérat, tisane, fleur...), cinq ans en arrière le paysage juridique était encore moins favorable. "C'était +ça passe ou ça casse+. Si tu ne prends pas de risques, tu ne fais rien. Les gens qui réussissent sont les gens qui n'abandonnent pas", dit-elle entre deux bouffées tirées sur sa cigarette de CBD.

- "Une plante diabolisée" -

L'audace a ainsi fait de Nathalie Pagé, 52 ans,une agricultrice pionnière qui compte parmi les rares paysans français capables de vendre sa propre récolte de CBD: "la seule dont la fleur est bio", s?enorgueillit-elle.

Elle a récolté 1.700 plants l'automne dernier, dont certains sèchent encore dans son hangar qu'elle continue d'appeler "la Fromagerie" en souvenir de son ancienne activité, et vise le double pour 2021.

"Regardée de travers" au départ, elle voit l'intérêt croître autour de son chanvre, terme qu'elle préfère à cannabis. "Pour différencier par rapport au (cannabis) psychotrope: quand on dit cannabis aux gens, ça leur hérisse le poil." Au marché de Crest, de nombreux clients s'arrêtent devant son stand, par curiosité ou pour acheter des tisanes ou huiles afin de soulager des douleurs, comme cette cliente pour sa mère de 98 ans.

"D'une plante généreuse, on a fait du chanvre une plante dangereuse, diabolisée", explique-t-elle en assurant n'avoir eu que des retours positifs sur ses produits. "Il faut informer les gens, et surtout ne pas les tromper. Leur donner des produits qui les satisfont, leur font du bien, surtout en ce moment: qu'est-ce que les gens ont besoin de +déstresser+".

Elle reçoit également de nombreux appels d'agriculteurs "qui veulent se reconvertir dans le chanvre car leur activité bat de l'aile". A ces collègues qui "se meurent", elle vante l'intérêt de ce chanvre CBD, "un produit de qualité qui permet de gagner sa vie sans voler les gens".

Cette convertie milite également pour le développement d'une filière française de qualité. Contraintes par la législation, les boutiques spécialisées se fournissent auprès de producteurs étrangers, peu regardants selon elle. "On ne sait pas d'où ça vient, ni ce qu'ils mettent dedans. Nous, nous faisons du bio, nous avons une charte à respecter."

AFP

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