Exil en Turquie

Syrie : des enfants réfugiés rêvent d'un pays qu'ils ne connaissent pas

  • Publié le 13 mars 2021 à 12:59

Mohammad a cinq ans, Areej six, et Dalaa dix. Réfugiés syriens en Turquie, ces enfants ont hérité de leurs parents du mal d'un pays qu'ils ne connaissent pourtant pas, ou très peu. Pour fuir le conflit qui ravage la Syrie depuis dix ans, ces familles se sont exilées en Turquie, qui compte plus de 3,6 millions de réfugiés syriens, dont environ 1,5 million d'enfants de moins de 15 ans, selon les chiffres officiels.

Mohammad et ses parents Maher Imadedine et Rawan Sameh, originaires d'Alep, font partie des quelque 450.000 réfugiés Syriens qui vivent dans la province frontalière turque de Gaziantep, où le couple s'est marié.

Ce garçonnet au cheveu sur la langue dit vouloir un jour "retourner" en Syrie alors qu'il est né en Turquie et n'a jamais mis les pieds dans son pays d'origine. "Parce qu'elle est belle, la Syrie. Papa et maman me l'ont dit." Son père travaille dans une association caritative, sa mère enseigne l'arabe à l'Université de Gaziantep. Ils vivent dans un quartier plutôt cossu, mais n'ont qu'une idée en tête, retourner un jour en Syrie où ils avaient participé aux manifestations contre le régime de Bachar al-Assad au début de la révolte.

Quand? "Lorsque Bachar al-Assad sera en prison", répond le gamin. "Je ne l'aime pas, parce qu'il est en train de tuer les gens et de les emprisonner." Il dit l'avoir appris de ses parents. "Il le voit aussi à la télévision", coupe la mère. "Il regarde les journaux télévisés avec nous. Il y a des choses qui le dépassent, mais il arrive à se faire une idée sur ce que traverse la Syrie."

- "La guerre partout" -

Elle estime que les images des destructions provoquées par les frappes du régime syrien font naître "un désir de vengeance chez les petits". "Notre rôle en tant que parents est de canaliser ce sentiment en énergie positive à mettre au service de la reconstruction du pays".

Areej Beidoun, 6 ans, était encore dans le ventre de sa mère quand son père, qui combattait dans les rangs des rebelles, a été tué à Alep. Arrivée à Gaziantep à l'âge de quatre mois, elle y vit avec ses grands-parents maternels, ses oncles et leurs familles - 13 personnes au total dans un appartement délabré.

Sa mère s'est depuis remariée. Dans la bouche d'Areej, "maman et papa" désignent ses grands-parents qui s'occupent d'elle. L'oeil espiègle, cheveux ramassés en arrière par des barrettes dorées, Areej évoque la Syrie avec une éloquence qui tranche avec son jeune âge. "Là-bas, c'est la guerre partout, il y a beaucoup d'avions et des bombes qui font exploser la ville".

"Ici, quand je vois des poupées au marché, je demande à ma mère de m'en acheter. Mais elle dit +non+, parce que nous n'avons pas d'argent", soupire-t-elle. "Je voudrais que la Syrie redevienne ce qu'elle était avant, sans bombes, pour que je puisse y retourner".

Dalaa Hadidi, 10 ans, vit avec sa famille dans le même quartier décrépit. Née 45 jours avant le début de la révolte, elle avait 15 mois quand elle a quitté Alep avec ses parents. Mais elle en parle comme si elle y avait toujours vécu. "J'ai envie de retourner à Alep pour retrouver ma maison, mon quartier et ceux qui me sont chers. Je souhaite qu'Assad meure pour qu'on puisse revenir", dit-elle.

- "Je veux jouer" -

Si ce sentiment d'appartenance est essentiellement transmis aux plus jeunes par les aînés, des médias s'adressant aux diasporas syriennes, notamment en Turquie, contribuent à l'entretenir.

Lui-même réfugié, Mahmoud Al-Wahab, 14 ans, présente l'émission pour enfants "Je veux jouer" sur les ondes de Rozana, une radio syrienne avec des bureaux à Gaziantep et à Paris. "Nous essayons d'inculquer cet attachement, mais d'une manière indirecte. Nous diffusons toujours des informations sur les enfants à l'intérieur de la Syrie et aussi sur la situation en Syrie et comment elle était avant.

Nous parlons aussi de la langue arabe afin d'aider les enfants à ne pas perdre leur langue maternelle", explique-t-il dans les studios de la station.

La directrice de la radio, Lina Chawaf, estime que "le rêve du retour reste vivant" même chez les Syriens qui ont réussi leur intégration dans leurs pays d'accueil. "Les parents inculquent à leurs enfants cette nostalgie de leur maison, leur terre, leur pays", dit-elle. "Quant à nous (à la radio) nous essayons de l'entretenir à travers la culture, des devinettes, des jeux qu'on pratiquait quand on était en Syrie."

La présentatrice de la matinale, Nilufer al-Barrak, et quelques auditeurs se sont déjà promis de se retrouver en Syrie. Un jour. "J'ai demandé à des auditeurs de me décrire leur quartier en Syrie. Chacun a raconté son quartier et à quel point il était beau et nous nous sommes promis qu'à notre retour, chacun nous invitera chez lui à tour de rôle pour nous montrer l'endroit dont il nous a parlé à l'antenne", dit-elle. "Et si cet endroit n'est pas déjà reconstruit, on le reconstruira ensemble".

AFP

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