Etats-Unis

Il y a 20 ans, les attentats du 11 Septembre ébranlaient l'Amérique

  • Publié le 24 août 2021 à 08:30
  • Actualisé le 24 août 2021 à 09:54

La météo était parfaite sur New York, ce mardi 11 septembre 2001. Une magnifique journée d'été indien, qui allait devenir l'une des journées les plus noires de l'histoire des Etats-Unis.

Vers huit heures du matin, alors que beaucoup se pressent vers les bureaux du quartier de Wall Street, dominé par les tours jumelles du World Trade Center (WTC), 19 jihadistes, en majorité saoudiens, affiliés à Al-Qaïda, ont déjà franchi les contrôles de sécurité des aéroports de Boston, Washington-Dulles et Newark. Armés de petits couteaux et cutters, alors encore autorisés en cabine.

Ils embarquent dans quatre avions de ligne en partance pour la Californie, avec pour mission de les détourner et frapper au coeur la première puissance mondiale.

Joseph Dittmar, 44 ans, expert en assurances basé à Chicago, arrive au 105e étage de la tour sud pour une réunion prévue à 08h30. Elle tarde à commencer, quand les lumières se mettent à clignoter. Il est 08H46.

Dans cette salle sans fenêtres, les 54 assureurs présents "n'ont rien vu, rien senti, juste les lumières qui vacillent", raconte ce rescapé, l'un des témoins interviewés par l'AFP 20 ans après.

Un Boeing 767 d'American Airlines, parti à 07H59 de Boston pour Los Angeles avec 92 personnes à bord dont cinq pirates, vient de percuter la tour nord, entre les 93e et 99e étages. Dittmar et ses collègues ne le comprendront qu'une fois arrivés devant les fenêtres du 90e étage, après avoir été appelés à évacuer la salle.

"Ç'a été les 30-40 secondes les pires de ma vie (...) de voir ces énormes trous noirs dans le bâtiment, des flammes rouges comme je n'en avais jamais vues de ma vie et des nuages de fumée grise et noire qui s'échappaient des trous". "On voit des meubles, des papiers, des gens soufflés dans le vide... des choses terrifiantes, terribles. J'avais tellement peur", dit-il, ravalant des larmes.

A ses côtés, beaucoup assistent à la scène "comme hypnotisés". Lui ne veut pas rester une seconde de plus et reprend sa descente par les escaliers - une décision qui lui sauvera la vie.

Au bas des tours, le chef Michael Lomonaco émerge du centre-commercial souterrain du WTC: au dernier moment, il a décidé de passer chez l'opticien faire changer le verre rayé de ses lunettes, avant de monter au 107e étage de la tour nord rejoindre son prestigieux restaurant, Windows on the World.

Le centre commercial a tremblé sous une secousse inhabituelle. Parvenu à la surface, Lomonaco regarde avec horreur le haut de la tour nord en flammes. "Je pouvais voir des gens agiter les nappes blanches depuis les fenêtres" du restaurant, se souvient-il. "C'était horrible, terrible."

Il croit à un accident, comme Dittmar et des milliers de gens à New York, où les chaînes de télévisions sont déjà en direct. Tout comme le président américain George W. Bush, alerté alors qu'il visite une école primaire de Floride.

- "L'Amérique est attaquée"

Dans la tour sud, Dittmar et ses collègues entendent au haut-parleur qu'il est inutile d'évacuer: leur bâtiment n'est pas touché, ils sont en sécurité, dit l'annonce. Dittmar ignore la consigne et poursuit sa descente. Arrivé au 78e étage, des collègues l'appellent à prendre les ascenseurs permettant de gagner le rez-de-chaussée sans arrêt. Il continue.

"Quelque part entre le 74e et le 75e étage", la cage d'escalier "se met à osciller violemment. Les rampes se descellent du mur, les marches ondulent sous nos pieds comme les vagues dans l'océan, on sent un mur de chaleur, on sent du kérosène."

Avec deux collègues, Dittmar spécule sur ce qui a pu se passer. Sans imaginer qu'un autre avion, le vol 175 de United Airlines lui aussi détourné par des jihadistes, vient de percuter leur bâtiment, la tour sud, juste au-dessus d'eux, entre les 77e et 85e étages. Il est 09H03. George W. Bush, qui lisait une histoire aux écoliers de Floride, est prévenu par son chef de cabinet. "L'Amérique est attaquée", lui glisse-t-il à l'oreille.

Le président américain interrompt sa visite. Dans une brève déclaration, il évoque une "apparente attaque terroriste". Dittmar et ses collègues poursuivent leur descente. Au 31e étage, ils croisent pompiers et secouristes qui grimpent, à contre-courant, vers les étages supérieurs. "Leur seul regard disait qu'ils savaient qu'ils ne reviendraient pas", dit-il.

Arrivé au rez-de chaussée, après 50 minutes environ, le sol est jonché d'acier tordu, de ciment et de tâches de sang. "On savait ce que c'était", dit-il avec pudeur. Les images de gens prisonniers des flammes, tombant dans le vide, seront parmi les plus cauchemardesques de cette journée.

Les débris pleuvent de partout, les secouristes dirigent Dittmar et son collègue vers le centre commercial sous le WTC. Parvenus à l'autre bout, ils ressortent dans la rue et marchent quelques minutes avant d'entendre, derrière eux, le fracas assourdissant de la tour sud qu'ils viennent de quitter. Et, quasi-instantanément, "le cri" de milliers de New-Yorkais.

Il est 09H59 et Al Kim, 37 ans, ambulancier basé à Brooklyn, vient juste d'arriver au WTC pour aider à évacuer les blessés vers l'hôtel Marriott, situé entre les tours. Il échappe in extremis à l'anéantissement. "Je ne pouvais plus respirer, tellement il y avait de fumée dans l'air. Je me souviens avoir utilisé ma chemise pour me couvrir la bouche. Je ne voyais même pas mes mains, devant mes yeux," raconte-t-il à l'AFP en visitant cet été, pour la première fois, le

Mémorial aux attentats du 11 septembre, à quelques pas de l'endroit où il faillit mourir. Le souffle de chaleur provoqué par l'effondrement de la tour lui brûle les narines, les sourcils. Tout son corps se couvre d'une épaisse couche de cendres. Il fait complètement noir, mais il entend les voix de deux collègues: ils se retrouvent et se donnent la main, "comme des écoliers". Et se mettent à marcher au milieu des décombres, des flammes, des appels à l'aide et des alarmes individuelles de pompiers pris dans les gravats, faites pour se déclencher automatiquement lorsqu'ils sont sans mouvement trop longtemps.

- "L'endroit le plus sûr au monde" -

Le drame n'est pas qu'à New York. A 09H25, l'agence américaine du transport aérien, la FAA avait ordonné la fermeture de l'espace aérien américain et interdit tout décollage, pour la première fois dans l'histoire de l'aviation civile Un ordre tombé trop tard pour le vol 77 d'American Airlines, parti de Washington pour Los Angeles: aux mains de cinq pirates de l'air, il a déjà fait demi-tour vers Washington.

Au Pentagone, siège du ministère américain de la Défense tout proche de Washington, Karen Baker, 33 ans, est convaincue de se trouver "dans l'endroit le plus sûr au monde". Alors que cette spécialiste en communication de crise retourne à son bureau, avec café et croissants, cette certitude vole en éclats. "Il y eut un gros +boum+ et puis on a senti une secousse", se souvient-elle. "Sur le moment on a cru que c'était une bombe." Il est 09H37 et le vol 77, avec 53 passagers et six membres d'équipage à bord, vient de percuter la façade ouest du Pentagone.

- Bataille du ciel -

L'ordre de la FAA est tombé trop tard aussi pour le vol 93 d'United Airlines, parti de Newark (New Jersey) pour San Francisco: il est déjà au-dessus de l'Ohio. Quatre pirates, assis en première classe, s'introduisent dans la cabine de pilotage, afin de le détourner également sur Washington. A son bord, sept membres d'équipage et 33 passagers, contraints de se regrouper à l'arrière de l'appareil. Beaucoup appellent leurs proches avec les portables de l'avion, apprenant souvent du même coup que deux autres appareils, détournés, ont percuté le World Trade Center.

Un groupe de passagers décident de prendre d'assaut le cockpit, mais attendent de survoler une zone rurale pour agir. Jusqu'à ce que l'un d'eux, Todd Beamer, tout en parlant au téléphone avec une opératrice au sol, lance, "Vous êtes prêts? OK, allons-y!" La bataille durera six minutes: tandis qu'ils essaient de reprendre le contrôle du cockpit, les pirates tentent de couper l'oxygène et font basculer l'avion pour les déséquilibrer.

Alors que l'appareil vole de plus en plus bas, l'un des passagers, Edward Felt, réussit à joindre le numéro d'urgence 9-1-1 depuis les toilettes. Son appel sera l'un des derniers. Les pirates, conscients qu'ils n'atteindront pas Washington, décident d'écraser l'appareil. Lancé à quelque 900 km/h, le Boeing 757, encore chargé de kérosène, explose dans une immense boule de feu sur une zone arborée de l'ouest de la Pennsylvanie, à 250 km de Washington. Il est 10H03.

A des kilomètres de là, dans le nord de l'Etat de New York, Gordon Felt, frère d'Edward Felt, est occupé à fermer le camp où il a accueilli tout l'été de jeunes autistes.

Un employé vient l'avertir du drame en cours au WTC. Comme des millions de gens, aux Etats-Unis et dans le monde, il se met devant une télé. Sans imaginer qu'il va être impliqué.

Lorsque sa belle-soeur l'appelle, un peu plus tard, pour lui dire qu'Edward était sur le vol 93 et qu'elle est sans nouvelles, il essaie de joindre son frère sur son portable: "Ed, quand tu atterriras, appelle-nous, on est inquiet."

- Fuir Manhattan -

A Wall Street, à 10H28, après s'être consumée pendant 102 minutes, la tour nord du WTC s'effondre à son tour. Au milieu des hululements des sirènes, des gens qui fuient en courant l'énorme nuage de débris et de fumée qui enveloppe le quartier, le maire, Rudy Giuliani, appelle la population à "rester calme et, si possible, à évacuer le bas de Manhattan".

Des dizaines de bateaux - ferries, bateaux de pêche, yachts - se mobilisent, qui évacueront jusqu'à 500.000 personnes. Des milliers d'autres marcheront, parfois des heures durant, fuyant vers le Brooklyn Bridge à l'est ou par le nord de Manhattan.

Les secouristes, qui affluent de partout, s'affairent eux dans les ruines fumantes des tours, en quête de survivants. Juste avant l'effondrement de la tour nord, Al Kim et d'autres secouristes avaient pu dégager un pompier, Kevin Shea, coincé dans les gravats. Il sera le seul rescapé des 12 pompiers de sa brigade.

Vers 12h30, 14 personnes sont retrouvées saines et sauves, rescapées de la tour nord grâce à un escalier resté miraculeusement debout. Le chef Lomonaco tente lui d'établir une liste des employés présents au restaurant lors de la catastrophe. Beaucoup sont injoignables. Il mettra des jours à établir qu'ils étaient 72 - sur 450. Aucun n'a survécu.

A bord d'Air Force One, George Bush, en route pour Washington, est obligé de rebrousser chemin. La capitale fédérale n'est pas jugée sûre. L'avion présidentiel finira par l'évacuer sur une base aérienne de Louisiane.

- "Ground Zero" -

Secouristes et journalistes commencent à parler de "Ground Zero" pour désigner les ruines fumantes des tours jumelles. Personne n'ose encore avancer de bilan, même s'il apparaît déjà qu'il s'agit de la plus grande attaque terroriste coordonnée de l'histoire. Edward Felt reçoit un nouvel appel de sa belle-soeur: il n'y a aucun survivant du vol 93. Il part annoncer la nouvelle à sa mère.

Joseph Dittmar, après avoir passé quelques heures réfugié dans l'appartement d'une amie, proche de Wall Street, rivé à la télé, n'a qu'une hâte: quitter New York.

En fin d'après-midi, il attrape un métro bondé - leur circulation a repris après une heure et demie d'arrêt complet - puis un train pour Philadelphie.
Dans ce train, c'est "le silence total". Tout le monde est sous le choc. Quand Dittmar arrive chez ses parents vers 19h00, sa mère le serre dans ses bras: "mon bébé, mon bébé", répète-t-elle à son fils, déjà grand-père.

Il s'effondre de fatigue et rate le discours de George W. Bush, à 20H30: le président américain annonce un bilan encore incertain de "plusieurs milliers de morts" - ils seront 2.753 au WTC, 184 au Pentagone et 40 à Shanksville. Et avertit que, dans leur chasse aux coupables, les Etats-Unis ne feront "aucune distinction" entre "les terroristes et ceux qui les ont abrités".

"Aucun d'entre nous n'oubliera cette journée, mais nous irons de l'avant et défendrons la liberté et tout ce qui est bon et juste dans notre monde", conclut-il.
Rentrée chez elle, Karen Baker prend conscience de l'énormité de la catastrophe en étreignant son mari et leurs deux petits garçons.

"La tension les avait poussés à bout et ils sanglotaient (...) Ils craquaient, c'était vraiment dur à voir". Al Kim ne sera chez lui, à Brooklyn, que vers minuit. Il se douche, s'allonge quelques heures, avant de repartir de bonne heure. "Il y avait beaucoup à faire, des funérailles auxquelles assister (...) On n'avait pas le temps de s'arrêter et réfléchir".

AFP

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