En Albanie

Entre soleil et palmiers, l'exil improbable des Afghans

  • Publié le 24 septembre 2021 à 10:16
  • Actualisé le 24 septembre 2021 à 10:43

Il y a le soleil, les flots bleus de l'Adriatique, la piscine pour les enfants. Mais les rives accueillantes de l'Albanie ne consolent pas les Afghans évacués dans le petit pays des Balkans du traumatisme d'avoir tout perdu et de ne rien savoir de l'avenir. "Physiquement je suis ici mais mon coeur est en Afghanistan", dit Latifa Frotan, 25 ans, arrivée fin août en Albanie après la prise de pouvoir des talibans. Cette militante des droits des femmes, ex-employée du ministère de l'Intérieur à Kaboul, peine à retenir ses larmes quand elle évoque ses proches restés en Afghanistan.

L'Albanie, l'un des pays les plus pauvres d'Europe, où le salaire moyen est de 460 euros, s'est engagée à accueillir provisoirement 4.000 Afghans, dont beaucoup rêvent d'un hypothétique sésame pour les Etats-Unis. Pour l'heure, près de 700 femmes, hommes et enfants sont hébergés dans des hôtels cinq étoiles, payés par des ONG américaines, avec piscines, parcs et terrains de sport, comme à Durres et Shengjin, sur les rives de l'Adriatique.
"Ces gens ont fui la terreur, ils sont traumatisés et il serait inhumain de les mettre dans des camps", souligne le Premier ministre albanais Edi Rama.
Mais le luxe semble peu de chose face au désespoir. "Nous avons de la chance d'être ici, on a tous les services dont on a besoin mais nous sommes inquiets pour notre famille", dit Latifa au Rafaelo resort à Shengjin.

- Terre d'asile et d'exode -

Elle a très peur pour sa soeur et les soeurs de son mari. "Les talibans frappent les femmes, ils frappent les journalistes, la vie de tous est en danger".
L'Albanie, comme le Kosovo et la Macédoine du Nord, n'a pas hésité à lever la main pour accueillir les évacués afghans. Le pays de 2,8 millions d'habitants reçoit déjà à la demande de Washington et de l'ONU 3.000 moudjahidines du peuple iraniens et une dizaine de Ouïghours sortis de Guantanamo. Pour Edi Rama, recevoir ces réfugiés était une évidence dans un pays aux traditions d'accueil : l'Albanie a reçu 500.000 Kosovars fuyant les forces serbes de Slobodan Milosevic à la fin des années 1990 tandis que la communauté juive y était plus nombreuse après la Seconde guerre mondiale qu'avant.

Le pays est aussi une terre d'exode. Depuis les années 1990, plus d'un million d'Albanais sont partis chercher une vie meilleure, en Italie, Allemagne, Grèce ou aux Etats-Unis. "Nous ne sommes pas riches, mais nous devons cela à nos amis afghans et nous le devons à notre tradition, à notre propre passé récent de réfugiés", a-t-il déclaré aux médias locaux. Contrastant avec les réactions parfois hostiles aux migrants dans certains pays d'Europe occidentale, aucun parti politique ne contredit le gouvernement et l'opinion semble partager sa générosité.

- "Comme les nôtres"-

Ces Afghans "sont des nôtres, c’est comme ma famille", dit Viktor Nrea, la cinquantaine moustachue, chauffeur de l'ambulance mise à disposition au complexe hôtelier pour parer à toute urgence. "Je partage avec eux leur douleur mais aussi la joie de vivre de leurs enfants, cela m'aide à oublier l'absence de mes deux fils qui sont loin, dans l'émigration". A Shengjin, sur les transats qui bordent la piscine à l'ombre des palmiers, les évacués ont l'oeil rivé sur leur téléphone et la moindre information se répand comme une trainée de poudre. La nouvelle que la rentrée serait masculine dans les collèges et lycées afghans sème la consternation.

Très émue, Lina Mommadi, une scientifique de 36 ans, montre sur son portable la photo d'une classe universitaire où les étudiants et étudiantes sont séparés par un rideau. "Mes soeurs avaient un travail et maintenant elles restent dans leur chambre", dit la jeune femme au regard vert.
A chaque appel, elle demande à ses proches de voir leur visage pour vérifier qu'il ne leur est rien arrivé. "La tension est grande, après chaque appel, je pleure". Les cris des enfants qui jouent au ballon ou qui se jettent heureux dans la piscine représentent de rares moments de joie. Les plus petits font des dessins et du coloriage sous l'oeil attentif d'assistantes sociales.

- Statue de la liberté -

Les coûts d'hébergements sont assurés par des ONG américaines dont la Fondation Soros ou la National Endowment for Democracy. L'Albanie membre de l'Otan assure aussi "assumer sa part du fardeau". Incongrue, une réplique de la statue de la Liberté trône dans le complexe hôtelier comme pour rappeler à des exilés qui n'avaient jamais imaginé un jour vivre en Albanie que les Balkans ne sont pas leur destination. Beaucoup attendent l'instruction de leur demande de visa pour les Etats-Unis, un processus qui pourrait prendre de longs mois. Le but ultime, c'est de pouvoir rentrer un jour dans un Afghanistan libre, comme le souligne Elyas Nawandish, 29 ans, rédacteur-en-chef du journal Etilaatroz, qui continue d'écrire sur son pays.

"C'était une décision très dure de partir. Le jour où j'ai quitté mes collègues, j'ai pleuré en public, c'était incontrôlable", poursuit le journaliste. Il n'est guère optimiste mais il rêverait "un jour de pouvoir rentrer pour travailler, pour moi-même et mon peuple". En attendant, un groupe d'adolescents entonnent "Ma patrie", ou Sarzamin-e-Man en farsi, un hymne sur l'exode écrit en 1998 par le chanteur Dawood Sarkhosh qui a lui-même fui l'Afghanistan durant les guerres civiles qui ont suivi le retrait soviétique.

 AFP

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