Déflagration en vue

Pédocriminalité dans l'Eglise : séisme attendu avec l'accablant rapport Sauvé

  • Publié le 5 octobre 2021 à 09:40
  • Actualisé le 5 octobre 2021 à 12:03

Déflagration en vue pour l'Église catholique de France et au-delà : la Commission Sauvé, qui enquête sur l'ampleur de la pédocriminalité entre les années 1950 et aujourd'hui, publie ses conclusions, accablantes, mardi matin.

Le résultat de deux ans et demi de travaux de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) depuis 1950, présidée par Jean-Marc Sauvé, va être remis publiquement, à Paris, à l'épiscopat français et aux ordres et congrégations religieuses, en présence de représentants d'associations de victimes.

Des quelque 2.500 pages de ce rapport (dont des annexes colossales) sortira d'abord un état des lieux quantitatif. Une donnée a déjà été révélée par M. Sauvé: le nombre de prédateurs. Il a été évalué à "2.900 à 3.200", hommes - prêtres ou religieux - sur la période de 70 ans, une "estimation minimale".
Le rapport donnera aussi une estimation du nombre de victimes - mineures au moment des faits. Vertigineux... Il s'agit d'un "nombre à 6 chiffres", indique à l'AFP une source proche du dossier.

Pour l’Église catholique, "cela va être une déflagration", assure à l'AFP un membre de la Ciase, sous couvert d'anonymat. "Cela va faire l'effet d'une bombe", renchérit Olivier Savignac, du collectif Parler et Revivre. Le rapport "ne va pas être complaisant", assure le sociologue Philippe Portier, autre membre de la Commission. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France, a dit craindre "des chiffres considérables, effrayants". Tandis que la présidente de la Conférence des religieuses et religieux des instituts et congrégations (Corref), Véronique Margron, veut accueillir ce rapport comme "un fardeau, aussi noir soit-il, pour prendre les mesures qui s'imposent".

Silence coupable ? Poids du cléricalisme ? La commission donnera son jugement sur l'action de l'institution ecclésiale, après avoir évalué les "mécanismes, notamment institutionnels et culturels" qui ont pu favoriser la pédocriminalité.

- Une pétition lancée -

En novembre, M. Sauvé avait évoqué une "gestion de ces affaires qui dans le passé a souvent été défaillante". Il avait aussi jugé "extrêmement grave qu'il ait pu y avoir quelques institutions et quelques communautés, en petit nombre, où des abus systémiques aient pu être commis".

La Ciase a fait de la parole des victimes "la matrice de son travail", selon M. Sauvé. D'abord avec un appel à témoignages, ouvert dix-sept mois, qui a recueilli 6.500 appels ou contacts de victimes ou proches. Puis en procédant à 250 auditions longues ou entretiens de recherche. Elle a aussi effectué une plongée dans de nombreuses archives, de l’Église, des ministères de la Justice ou de l'Intérieur, de la presse...

Une fois le diagnostic posé, la Commission doit énumérer 45 propositions dans plusieurs domaines: écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux, droit canonique, transformation de la gouvernance de l’Église... Elle préconisera aussi une politique de reconnaissance, puis une réparation financière propre à chaque victime.
Les faits sont presque toujours prescrits, les auteurs décédés, rendant un recours à la justice improbable. Les procédures canoniques (le droit de l’Église) sont longues et peu transparentes.

- Quelles suites l’Église donnera-t-elle au rapport ? -

L'épiscopat a pris des mesures au printemps, promettant non pas des réparations mais un dispositif de "contributions" financières, versées aux victimes à partir de 2022, qui ne fait pas l'unanimité chez ces dernières ni chez les fidèles, lesquels sont appelés à contribuer aux dons.

La Corref s'est, pour sa part engagée en interne dans une démarche de justice "réparatrice" et attend les conclusions du rapport Sauvé pour prendre des décisions.
Les premières réponses de la Conférence des évêques de France et de la Corref seront annoncées en novembre, date à laquelle les deux institutions se réuniront en assemblées plénières.

Un collectif d'associations de victimes a déjà lancé, samedi, une pétition - "Abus sexuels: l'église catholique doit prendre ses responsabilités" - en français et anglais: il s'agit de créer une "mobilisation qui franchisse les frontières", selon François Devaux, cofondateur de l'association de victimes La parole libérée, aujourd'hui dissoute.
Nul doute que le rapport sera aussi examiné à la loupe à Rome par le Pape François, qui a rencontré une partie des évêques français en septembre et qui a été confronté à ce dossier dès le début de son pontificat.

Créée à l'automne 2018, la Ciase est composée de 22 membres, bénévoles, aux compétences pluridisciplinaires. Elle a été financée par l'épiscopat et les instituts et congrégations religieux à hauteur de 3 millions d'euros.

AFP

guest
0 Commentaires