Demande de dissolution d'une organisation non gouvernemental

Russie: l'ONG Mémorial au tribunal, crainte d'une liquidation immédiate

  • Publié le 28 décembre 2021 à 13:03
  • Actualisé le 28 décembre 2021 à 14:25

La Cour suprême russe examinait mardi une demande de dissolution de l'ONG Mémorial, pilier de la défense des libertés dans la Russie contemporaine et gardienne de la mémoire du Goulag.

Les poursuites visant Mémorial, qui jouit d'un grand prestige à l'étranger, sont perçues comme un nouveau palier dans la répression des critiques du président Vladimir Poutine qui s'est accélérée tout au long de l'année 2021. Cette troisième audience devant la Cour suprême s'est ouverte en fin de matinée mardi. Elle "pourrait être la dernière", a indiqué l'ONG lundi, car "il ne reste que les plaidoiries et la décision finale de la juge Alla Nazarova".

Plusieurs dizaines de partisans de Memorial se sont rassemblés devant la Cour mardi matin malgré des températures négatives et une interdiction de manifester. La police est intervenue, interpellant trois personnes à la mi-journée, ont constaté des journalistes de l'AFP. "Memorial dit la vérité, en aucun cas elle ne dénigre le pays", a déclaré à l'AFP l'une des personnes venues manifester, Maria Birioukova.

Début novembre, le Parquet a demandé la dissolution de Mémorial International, la structure clé qui coordonne le réseau de l'organisation en Russie, l'accusant d'avoir enfreint "systématiquement" les obligations de son statut d'"agent de l'étranger". Ce label, qui rappelle celui d'"ennemi du peuple" pendant l'URSS, désigne les organisations reconnues coupables d'agir contre les intérêts de Moscou en recevant des fonds étrangers. Tous ceux qui y sont soumis, individus compris, doivent indiquer leur statut d'"agent de l'étranger" dans toutes leurs publications, sous peine de lourdes amendes, et se soumettre à de lourdes procédures administratives.

Parallèlement, dans un autre dossier, le Parquet exige la liquidation du Centre de défense des droits humains de Mémorial, accusé d'apologie "du terrorisme et de l'extrémisme", en plus de violations de la loi sur les "agents de l'étranger". Dans cette affaire distincte, une audience est prévue mercredi devant un tribunal de Moscou. Les avocats de l'ONG, qui a déjà payé d'importantes amendes pour des violations à la loi sur les "agents de l'étranger", dénoncent des persécutions infondées, disproportionnées et de nature politique.

- Traumatismes historiques -

Mémorial est l'une des dernières victimes de la longue liste d'ONG, d'opposants et de médias tombés sous le coup de poursuites en Russie ces derniers mois.
En janvier, les autorités avaient d'abord arrêté puis condamné à deux ans et demi de prison l'opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny, puis interdit en juin son organisation pour "extrémisme".

Dans la foulée, des dizaines de personnes, des ONG défendant les droits humains ou les minorités sexuelles, des médias indépendants ont été reconnus "agents de l'étranger", ce qui complique fortement leur travail. Les autorités russes sont aussi passées à l'offensive sur le front numérique. Elles multiplient les menaces, les blocages de sites internet jugés dissidents et les amendes contre les géants du numérique ne supprimant pas des contenus liés à l'opposition.

Les poursuites visant Mémorial illustrent l'affrontement entre deux visions de l'histoire russe, 30 ans après la dislocation de l'Union soviétique, qualifiée par Vladimir Poutine de "plus grande catastrophe géopolitique" du XXe siècle. Fondée au crépuscule de l'URSS par des dissidents, dont le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Mémorial s'était donné pour mission de mettre en lumière les millions de victimes des crimes de l'URSS, afin d'éviter tout retour au totalitarisme.

Pour ses défenseurs, elle subit désormais la promotion de plus en plus accentuée par le Kremlin d'une vision unique de l'Histoire glorifiant la puissance de l'URSS, notamment sa victoire contre l'Allemagne nazie, et minimisant les crimes de Staline. Le Centre de défense des droits humains est, lui, spécialisé dans les violations commises à ses yeux par l'Etat russe contemporain.

Pour ses activités, Mémorial subit de longue date des pressions et a déjà payé un lourd tribut. En 2009, sa responsable en Tchétchénie, Natalia Estemirova, avait été kidnappée puis exécutée. L'un de ses historiens, Iouri Dmitriev, a été condamné lundi à 15 ans de prison pour une affaire "d'agression sexuelle" dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.

AFP

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