Justice

Procès Deliveroo : amende maximale et prison avec sursis requises pour un "système" de travail dissimulé

  • Publié le 16 mars 2022 à 21:49
  • Actualisé le 17 mars 2022 à 05:45

"Tous les avantages de l'employeur"... "sans les inconvénients": l'accusation a requis mercredi à Paris la peine maximale de 375.000 euros d'amende à l'encontre de Deliveroo ainsi qu'un an de prison avec sursis contre deux anciens responsables français.

Deliveroo est bien responsable d'"une instrumentalisation et d'un détournement de la régulation du travail", dans le but d'organiser une "dissimulation systémique" d'emplois de livreurs qui auraient dû être salariés et non indépendants, a estimé dans ses réquisitions la procureure Céline Ducournau.

La plateforme est jugée depuis la semaine dernière devant le tribunal correctionnel pour "travail dissimulé", lors d'un premier procès pénal en France de "l'ubérisation" avec comme enjeu le véritable statut de ses livreurs.

Pour les deux dirigeants successifs de Deliveroo France sur la période concernée, de 2015 à 2017, la procureure a demandé un an d'emprisonnement avec sursis et 30.000 euros d'amende. Pour un troisième responsable, elle a souhaité quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 10.000 euros d'amende.

La procureure avait commencé par "regretter" l'absence sur le banc des prévenus de William Shu, grand patron américain de l'entreprise britannique et "incontestablement" à l'origine du "système".

- "Libres" -

La "fraude" mise en place avait pour unique but d'employer "à moindre frais" ses livreurs, et peu importe si certains sont "satisfaits" de ce statut ou se "sentent libres", a souligné la magistrate, en référence à l'un des arguments de Deliveroo pour justifier le statut d'auto-entrepreneur.

Le "lien de subordination" était bien établi pour l'"intégralité des livreurs" soit "des milliers de travailleurs", a-t-elle martelé.
A l'audience dans une salle bien remplie, notamment de livreurs (plus d'une centaine étant parties civiles), la procureure a listé tout ce qui démontrait les "directives", "contrôles et "sanctions" caractérisant la relation employeur-salarié.

Deliveroo se présente faussement comme une plateforme de "mise en relation" entre clients, restaurateurs, et livreurs, mais "il n'y a pas de troisième acteur, Deliveroo ne met le livreur en relation avec personne", a tonné Céline Ducournau.

C'est l'entreprise qui "s'engage sur la qualité de la prestation, les délais", elle "les forme et organise leur intervention", a-t-elle décrit, dénonçant une "fiction juridique". Elle a évoqué l'envoi régulier de mails rappelant les "règles", de vidéos de formation, l'obligation d'effectuer des "+shifts+ d'essai", qui constituent bien des des "consignes claires".

Elle a aussi détaillé le contrôle constant, sur les délais de livraison, les itinéraires choisis, la manière de livrer, allant parfois "jusqu'à vérifier que les livreurs se levaient bien le matin" ou que leur batterie de téléphone était chargée.

- "Forum politique" -

"Il ne s'agit pas du procès des mauvaises conditions de travail", ni de celui des "modes de consommation de notre époque", a rétorqué en défense Antonin Lévy, l'avocat de Deliveroo France, pour qui le procès a parfois pris des airs de "forum politique". "J'imagine que vous vous attendez à ce que je dise +nous avons créé un million d'emploi, si nous quittons la France ce serait un drame+... mais juridiquement ça n'aurait aucun sens".

"Qu'est-ce qu'un salarié ? Quelqu'un qui choisit si aujourd'hui, il veut venir travailler ? Quelqu'un qui peut travailler pour votre pire concurrent ? Qui peut refuser une commande ? Non ce n'est pas ça un salarié, il n'y a pas de lien de subordination", a-t-il plaidé. "La liberté ce n'est pas l'absence de contraintes", a-t-il ajouté, demandant la relaxe.

De son côté, la procureure a également demandé comme peine complémentaire "l'affichage et la diffusion" de la décision de justice, notamment devant les locaux de Deliveroo pendant deux mois, ainsi que sur la page d'accueil du site et de l'application mobile de la plateforme.

Elle a souhaité cette peine en pensant "aux travailleurs actuels" de la plateforme, et requis qu'elle s'applique immédiatement, même en cas d'appel.

Elle a enfin demandé que les trois millions d'euros saisis par l'Ursaff pendant la procédure et représentant une partie de la valeur de l'infraction, soient confisqués.

Très contesté, le statut d'indépendant des chauffeurs Uber ou des coursiers Deliveroo est remis en cause dans de nombreux pays par la justice ou, plus rarement, par des lois qui ont poussé certains géants du secteur à proposer des compromis.

AFP

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