Invasion russe

Ukraine : Gamlet, street artiste ayant "l'ordre" de peindre à Kharkiv

  • Publié le 18 mai 2022 à 10:29
  • Actualisé le 18 mai 2022 à 10:35

Gilet pare-balles noir orné de l'écusson du Bataillon Khartia, un tourniquet pour faire des garrots et.... deux feutres, un noir et un blanc: c'est "l'équipement de travail" de Gamlet Zinkivsky, street artiste ukrainien de renom qui a décidé de rester à Kharkiv, sa ville natale, pour "peindre les murs" dévastés par la guerre.

"Hospitalité d'enfer", a-t-il apposé sur une de ses oeuvres, des cocktails molotov et un jerrican d'essence dessinés sur un mur du centre-ville, durement touché par l'offensive russe et dont de nombreux bâtiments ont été détruits ou endommagés par le pilonnage de l'artillerie.

35 ans, crane chauve impeccable, yeux clairs, quatre bagues argentées à la main gauche, Gamlet était à Kharkiv au début de l'attaque russe, a passé une nuit à l'abri dans le métro puis une dizaine de jours dans la maison de ses parents, plus sûre, avant de se réfugier avec une partie de sa famille à Ivano-Frankivsk dans l'ouest ukrainien peu touché par la guerre.

- "La ville est ma galerie" -

Il y est resté deux mois, organisant du financement participatif pour soutenir l'armée et l'aide humanitaire. Il dit avoir notamment vendu une peinture contre deux appareils de vision nocturne. C'est alors qu'il a reçu un coup de fil du commandant du bataillon Khartia, un ami qui lui lancé: "Tu es à Ivano-Frankivsk depuis trop longtemps. On a besoin de toi ici. Tu dois peindre", assure Gamlet.

Il dit avoir accepté "l'ordre avec joie" et "signe désormais toutes ses peintures de son nom et de celui du bataillon. J'ai toute liberté de peindre ce que je veux où je veux".
Reconnu à l'étranger où il a exposé et peint de Lima à Londres, Gamlet estime: "Aujourd'hui, il est plus important de travailler dans la rue que faire des tableaux pour les galeries. Des gens voient un immeuble qu'ils aimaient détruit ou endommagé et ils sourient en voyant un dessin".

"Je peux vendre des tableaux et avoir de l'argent mais le street art c'est pour ceux qui ne vont jamais dans les musées ou les galeries", dit-il. "Ici c'est ma maison. La ville entière est ma maison, la ville est ma galerie! Je pourrais construire ma carrière à l'étranger mais maintenant j'ai l'impression de construire mon pays".

- "Pas une arme" -

Il espère qu'après la guerre, certaines de ses oeuvres peintes sur du bois recouvrant les fenêtres ou façades endommagées seront données au "musée de la guerre" ou vendues pour la bonne cause, affirme-t-il rappelant que seule une des 8 fresques qu'il avait signées à Marioupol ont survécu à la bataille des dernières semaines.
Patriote, Gamlet ne voit toutefois pas son pinceau "comme une arme contre la Russie". "Ce que je fais aide les vrais combattants à défendre le pays qui a des artistes, des musiciens et une culture qui inspirent les soldats".

C'est la deuxième fois qu'il reste à Kharkiv pour des raisons politiques, assure-t-il. En 2013, il était prêt à émigrer à Paris mais le Maïdan (révolution pro-occidentale de 2014, qui s'est soldée par le départ du président pro-russe Viktor Ianoukovitch) m'a donné un nouvel élan artistique. J'ai compris que j'étais Ukrainien".

Il était alors beaucoup moins connu qu'aujourd'hui. Gamlet a commencé à peindre sur les murs de sa ville à l'âge de 17 ans. "Je dépensais alors autant d'argent pour la peinture que pour corrompre la police qui ne cessait de m'arrêter. +Encore toi!+, disaient-ils", avoue Gamlet. Il raconte avoir plus tard défié les policiers: "La Russie a annexé la Crimée et vous n'avez rien d'autre à faire que d'arrêter un +terroriste+ comme moi!"

Il jure que par la suite, il n'a plus été embêté et même avoir refusé des offres des autorités pour devenir un peintre officiel. "Je veux rester indépendant".
Particularité de Gamlet, qui a étudié l'art pendant 8 ans à l'université et aux Beaux-Arts: il a abandonné la couleur depuis 12 ans. "Un jour j'avais acheté différentes couleurs et je me demandais combien il m'en faudrait. Puis, je me suis dit +je n'en ai pas besoin+. J'ai tout rendu contre du noir et du blanc. Je préfère être minimaliste", assure-t-il.

"Dans le monde, tout est brouillé et il est difficile de comprendre si c'est bien ou mal. Dans ma peinture, je peux tout faire en noir et blanc" assène-t-il. "Je ne veux pas peindre des tableaux magnifiques mais des grandes idées".

AFP

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