Entretien avec Roger Ramchetty

Langues régionales : une loi, c'est bien, les moyens pour l'appliquer, c'est mieux

  • Publié le 20 avril 2021 à 02:59
  • Actualisé le 20 avril 2021 à 10:23

Le Parlement a adopté définitivement le jeudi 8 avril 2021 une proposition de loi pour protéger et promouvoir les langues régionales, après le vote favorable de l'Assemblée nationale en deuxième lecture malgré les réticences du gouvernement et des députés LREM. Une bonne nouvelle pour la langue créole. La préservation et l'enseignement du créole à l'école sont en effet des combats menés de longue date par de nombreuses personnalités réunionnaises. Roger Ramchetty, président du Conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement et enseignant de métier, se réjouit de cette décision. Entretien (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Imaz Press : "La loi a été votée à la surprise générale. Quel regard portez-vous dessus ?"

Roger Ramchetty : "C'est un combat que nous menons depuis de nombreuses années. C'est donc forcément une bonne nouvelle, et nous accueillons cela avec une très grande satisfaction. Nous avons tout de même quelques réserves et restons sceptiques face à l'application de cette nouvelle loi, mais de manière générale, nous sommes bien évidemment très heureux de cette avancée.

Il faut aussi noter que ce vote s'est fait alors que la majorité n'était initialement pas favorable à loi. Et pourtant, beaucoup de députés n'ont pas suivi les préconisations de la majorité, et ont préféré dépasser le clivage des partis politiques pour voter, non par appartenance, mais par conviction. C'est une grande victoire. Car il faut aussi savoir que ce combat existe depuis 1951, avec le vote de la loi Deixonne, qui est la première à avoir autorisé l'enseignement des langues régionales. Elle n'a cependant pas eu les effets escomptés, en raison d'un manque de moyens"

Imaz Press : "Maintenant que le créole peut être enseigner en classe, il faut s'accorder sur la grammaire et l'orthographe. Comment faire ?"

Roger Ramchetty : "La question a bien avancé ces dernières années, notamment en question de grammaire. Il y a eu un consensus entre de nombreuses institutions pour s'accorder sur une graphie qui est désormais largement acceptée. C'est celle-ci qui sera enseignée en classe.

Je pense que ces questions de grammaires ne sont plus d'actualité aujourd'hui, nous avons fait de grandes avancées ces dernières années. Nous sommes capables de faire sans cette problématique, qui date finalement d'une autre époque. Des études ont notamment été faites dans ce sens, de nombreuses thèses ont été publiées. Ce n'est pas une problématique qui nous inquiète particulièrement"

Imaz Press : "Quelles problématiques vous inquiètent aujourd'hui ?"

Roger Ramchetty : "Les moyens qui vont être alloués à cet apprentissage ! Il y a un véritable besoin de formation des enseignants. Beaucoup ont une habilitation, mais peu sont réellement formés pour enseigner en créole. C'est une composante que le rectorat doit prendre en considération si on veut vraiment dispenser des cours en créoles aujourd'hui. Ce manque de formation pédagogique est un frein, car nous n'abordons pas les choses de la même manière quand on enseigne dans une classe bilingue. Et je pense que le rectorat n'a pas pris la mesure de ce besoin.

Parallèlement, il y a aussi la question des parents. Si on regarde les sondages, la majorité de la population est pour un enseignement en créole. Mais dans la réalité des faits, peu sont enclins finalement à laisser leur enfant en bénéficier, car il y un manque de compréhension sur le déroulement qu'aurait une classe bilingue. Il faut pouvoir les rassurer quant aux bienfaits de l'enseignement bilingue. Certains peuvent s'inquiéter des répercussions sur l'apprentissages de leurs enfants, quand en réalité, de nombreuses études ont démontré que ce type d'enseignement avait de nombreux bienfaits sur le développement des enfants.

Par ailleurs, à La Réunion, certains parents pensent parler en français à leurs enfants, quand en réalité ils parlent un mélange de créole et de français. Au final, ces enfants ne sont pas totalement francophones, et entament leur scolarité avec un français imparfait. Pour pouvoir enseigner dans les deux langues, il faut pouvoir différencier les deux. Encore une fois, il est du devoir du rectorat de faire différencier les langues et donner les moyens de communiquer sur la question".

Imaz Press : "La Réunion n'est pas dans le même schéma qu'en métropole. Cela change-t-il quelque chose à l'intérêt de cette loi ?"

Roger Ramchetty : "C'est vrai que nous ne sommes pas la même situation que de nombreux territoires : le créole réunionnais est pratiqué par tous, il est présent au quotidien dans nos vies. Dans d'autres régions, la langue régionale a presque disparu, ils doivent recréer un bain linguistique dans lequel la pratiquer. Cela nous donne finalement un avantage dans le vote de cette loi : l'unique problème à régler, c'est le manque de moyen".

Propos recueillis par as/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com
 

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1 Commentaires
mcrochet54
mcrochet54
2 ans

Pourquoi nous tournons en boucle depuis 20 ans et plus ! Le créole réunionnais a accédé au statut de langue régionale en décembre 2000 et de ce fait, nous disposions déjà d'un cadre juridique largement suffisant pour avancer sur l'enseignement optionnel et les classes bilingues'20 ans après, le bilan du Rectorat est accablant et témoigne de la créolophobie avérée de ses responsables cautionnés par des " Chargés de mission " réunionnais : 30 classes bilingues pour 116 000 élèves dans le premier degré et autour de 3000 élèves sur 102 000 du second degré dans la filière LCR !!! Ce bilan aux conséquences redoutables pour l'avenir de notre péi est aussi l'échec patent de la stratégie d'intellectuels, d'institutions diverses et de militants qui ont prôné le " alé pa tro vit'alon avans ti dousman'fé pa désord' ", et pratiqué la politique de petits accommodements raisonnables à la limite de l'alliance objective avec la Rectocratie ! Un exemple : nous avions en 2000 et même avant, deux graphies disponibles (et un dictionnaire) opérationnelles en l'état moyennant un " toilettage ". C'était sans doute trop facile et il a donc fallu vingt ans, après des échecs répétés, pour aboutir à une graphie dite de consensus. Pour qui, pourquoi, demandé par qui, pour convenir à qui', nul ne le saura jamais mais une chose est sûre, les responsables académiques qui avaient soulevé dès 2001 ce " très grave problème " en rigolent encore ! Echec politique enfin, parce que pour la Droite la plus bête du monde " assimilationniste et la Gauche postcoloniale, la question identitaire a été et restera une variable d'ajustement de stratégies électoralistes. Exemple récent : vous avez sans doute pleuré d'émotion en écoutant le Député Jean Hugues Ratenon de LFI lors de ses interventions à l'Assemblée nationale, notamment en créole, sur le contexte postcolonial réunionnais'il est temps de ravaler vos larmes car LFI a voté massivement contre la loi Molac et nous n'attendons qu'une chose : sa démission de ce groupe dirigé par un jacobin lyrique et masqué ! Depuis des décennies et pour faire court, toutes ces catégories ont une peur panique d'évoquer seulement la possibilité d'un changement de statut pour notre péi qui permettrait que la Francité obligatoire et la Réunionnité facultative aujourd'hui bénéficient enfin d'une égalité de traitement 'au sens juridique du terme !