Madagascar

Les "casseurs" de fer d'Orangéa

  • Publié le 18 janvier 2009 à 00:00

La boulimie de la Chine, en plein essor économique, pour le fer à des répercussions dans la Grande Île. Des filières de récupération de métal se sont mises en place. Tout ce qui est fer, y compris les vestiges d'Orangéa, un ancien camp miliaire de la région de Diégo Suarez, est récupéré

Des bruits sourds résonnent de l'ancien camp militaire d'Orangéa sur les hauteurs de Ramena, un village de pêcheurs de la région de Diégo Suarez dans le Nord de Madagascar. En se rapprochant les bruits deviennent de plus en plus sonores. Des coups de fusils, de canons? Il n'y aurait rien d'étonnant, nous sommes sur un site militaire. Mais il est désaffecté depuis 1972, lorsque "reconduite" aux frontières par la révolution malgache, la France a quitté la Grande Ile laissant derrière elle les traces d'un passé définitivement révolu. C'est elle qui a construit ce casernement pour y loger ses militaires. Mais inutile de laisser gambader son imagination. Les bruits ne sont pas de soldats fantômes hantés par leurs rêves de gloire défunte.

Grâce à la Chine

Ce que l'on entend, ce sont des coups de massues assénés aux murailles du casernement. Les bâtisses ont été construites pour durer. L'empire colonial français était sûr de son fait, il était là pour au moins 1 000 ans. Les murs en béton armé, les escaliers en métal renforcé, ces encadrements métalliques des portes et fenêtres sont une véritable aubaine pour les casseurs de fer. Se sont eux que l'on entend taper depuis le bas de la colline où est juché Orangéa. Ils récupèrent le fer contenu dans les vestiges du camp. Plus tard, ils iront le vendre à Ramena.
C'est à la Chine que ces hommes doivent leur travail. En plein essor économique, le géant asiatique est devenu boulimique en fer. Sa forte demande a fait exploser les cours mondiaux, elle a aussi raréfié l'offre, les fournisseurs ayant du mal à satisfaire les besoins. Au fil des mois, ce métal est presque devenu précieux.

Tout est récupéré

À Madagascar certains n'ont pas tardé à comprendre tout le profit qu'ils pourraient tirer de cette situation. "Ce sont surtout les Karanas (Malgaches d'origine indienne - ndlr) qui, début 2005, ont monté le business du fer" souligne Peter, un "wasa" (européen en malgache) installé à Diégo depuis 3 ans. Ces businessmen ont fait savoir qu'ils étaient intéressés par l'achat de fer de récupération. L'effet a été immédiat. Tout ce qui contient du fer est systématiquement dépouillé de son métal. Les vestiges des anciens bâtiments coloniaux, les carcasses de véhicules accidentés laissés au bord des routes, les bateaux épaves oubliées par leurs armateurs et à moitié immergés dans le port de Diégo font le bonheur des récupérateurs.

2,4 centimes d'euros le kilo

Dol est l'un d'eux. Il est originaire du village Ramena, il a 26 ans. Il a quitté l"école à 10 ans et depuis il est pêcheur, comme presque tout le monde dans le village. "Je pêche jusqu'à midi et après avoir mangé je viens à Orangéa casser un peu de fer" dit le jeune homme. Il vient de s'attaquer aux cornières d'une façade de bâtiment. Insolites en ce lieu, les traces d'une fresque géante le regardent travailler. Elle a été réalisée par le peintre Français Paul Bloas. Un artiste sans ?uvre, puisque sa passion est de peindre sur des vestiges exposés à tous les temps et donc voués à disparaître.
Dol dit que la pêche lui rapporte plus d'argent que la récupération du fer. Mais cela lui permet d'arrondir un peu sa journée. Le collecteur paye 300 francs malgaches (FMG) le kilo de fer soit 2,4 centimes d'euros. En une demi-journée, Dol arrive à récupérer 150 kilos et à percevoir 45 000 FMG soit 3,6 euros.
À ses coups de massues répondent ceux de Velonjara, 55 ans, et Simon, 18 ans. Les deux hommes sont en peu plus loin dans l'ancien campement. Ils ont commencé à casser du fer en mai 2005 et disent arriver à récupérer jusqu'à 200 kilos de fer chacun en une demi-journée. Tous les jours c'est à dos d'homme qu'il transporte leur "récolte" chez les collecteurs basés à Ramena à plusieurs kilomètres de là. "Souvent, ils font deux voyages dans la journée" indique Saphia, 20 ans. Elle habite à l'entrée du village avec sa famille à l'entrée du village. Depuis février 2005 son père loue sa cour à un collecteur. Le métal y est pesé et entreposé.

Recyclé

Deux ou trois fois par semaine, un camion vient prendre livraison du chargement. "En général le camionneur repart avec 8 ou 9 tonnes de fer" note Saphia. Le collecteur qui a payé 300 FMG au récupérateur, recevra du patron de la filière 1 000 FMG par kilo (8 centimes d'euros), soit un bénéfice de 700 FMG (5,6 centimes d'euros).
Le fer récupéré est ensuite transporté jusqu'au port de Diégo Suarez. Il sera chargé sur des cargos à destination de différents pays. Le fer y sera recyclé et entamera une nouvelle vie dans les structures d'un vélo ou d'un building chinois. L'histoire ne dit pas combien aura perçu au final le patron de la filière.
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