Dépendance aux jeux

Jouer à tout prix

  • Publié le 29 juillet 2010 à 03:00

Avec l'ouverture à la concurrence du marché des jeux en ligne, le 8 juin dernier, l'addiction au jeu prend une nouvelle forme. En effet, pour le docteur Christian Dafreville, médecin spécialiste en addictologie, "cette problématique n'est pas nouvelle" puisqu'elle existe déjà chez certains joueurs. Néanmoins, "internet joue un rôle de facilitateur de cette pathologie" avec pour conséquence, un nombre accru d'individus susceptibles de devenir "accro" à ce que Christian Dafreville appelle "le plaisir de l'espérance du gain". L'antenne locale de l'ANPAA, association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie, (développement d'une dépendance à une drogue - ndlr) tente de s'adapter. Ses structures ambulatoires vont "bientôt" se transformer en "centre de soins, d'aide et de prévention en addictologie" prenant notamment en compte le traitement des addictions au jeu.

Pas question pour le docteur Dafreville de stigmatiser les jeux. "Jouer est un comportement humain qui participe à l'équilibre social", explique t-il. "Seule une minorité de personnes développe un comportement addictif", ajoute t-il. Il cite une étude révélant que 5% de la population américaine serait victime d'addiction. "Si on extrapole à la France, cela ferait environ 600 000 personnes, soit 1% de la population", indique le médecin spécialiste.

"L'addiction au jeu est la même que toute forme de dépendance. Il s'agit de remplacer ses émotions par des sensations, par une répétition de séquences comportementales chargées de plaisir et s'accompagnant d'un désir irrépressible de répéter. Et ce, malgré les conséquences négatives engendrées par cette action", analyse Christian Dafreville.

Dans le cas du jeu, il s'agit du "plaisir de l'espérance du gain". C'est la tension procurée au moment de parier ou d'insérer la pièce dans la machine par exemple, qui nourrit la dépendance. Le médecin la compare à la tension qu'engendre l'achat d'un bien par un acheteur compulsif (personne ne pouvant s'empêcher d'acheter des produits y compris ceux qui lui sont inutiles). Comme pour la drogue, "plus l'effet est rapide, plus on en est dépendant". Ainsi, les jeux de grattage, le casino et les jeux en ligne créent plus de dépendance que le loto par exemple. Dans les premiers cas le gain espéré peut être immédiat, dans le second il faudra attendre le tirage bi-hebdomadaire.


"Cette pathologie peut-être révélée dès le premier gain", affirme le professionnel de santé. "Lorsqu'une personne gagne 100 000 euros, elle arrête de jouer. Le joueur pathologique va rejouer", souligne t-il.

L'addiction se décompose en 3 phases. D'abord le "Big Win" (gros gain - ndlr). Le joueur va gagner une première somme plus ou moins importante. Il décide de rejouer ce gain en pensant qu'il peut à nouveau gagner. "Il a l'illusion de contrôler le hasard et qu'il ne peut que gagner", explique le médecin. Dans la seconde phase, le joueur commence à perdre mais il rejoue. "Il pense qu'il va se refaire. C'est sa conviction". Dans la dernière phase, "c'est le désespoir qui prend le dessus". Le joueur perd tout, il s'endette, il emprunte, il peut même aller jusqu'à voler, mais il continue à jouer. "Il ne contrôle plus rien". L'envie de jouer peut devenir un besoin vital. Le joueur sera très mal s'il ne joue pas. Le moindre stimulis peut alors provoquer cette envie, comme le bruit d'une roue qui tourne ou bien l'odeur d'un billet de banque.

Selon Christian Dafreville, avec l'ouverture du marché des jeux et paris sur internet "le nombre de joueurs pathologiques sera multiplié". Et pour cause, "plus un produit est disponible, plus il y a de chances que les gens le consomment", signale le spécialiste en addictologie. "Des gens qui n'iraient pas au casino pourraient profiter de la facilité d'accès à internet dans leur espace privé pour commencer à jouer. Cette pathologie pourrait alors se révéler", estime le médecin. "C'est comme pour le piano. Une personne peut avoir un don, mais elle ne le saura jamais si elle ne touche pas à l'instrument" ajoute-t-il.

Des études ont été menées pour savoir comment prendre en charge ce type de pathologie. "On s'y intéresse depuis seulement quelques années", reconnaît le professionnel de santé. "C'est une maladie encore méconnue. Il n'existe que quelques centres de traitement en France", dit-il. À La Réunion, il n'en existe pas. Néanmoins, le docteur Christian Dafreville traite certains cas sur l'île dans le cadre de sa fonction au sein de la branche locale de l'Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA). Il suit actuellement une femme "accro" aux jeux de grattage. Elle y dépense tout son salaire.

"Il faut restructurer les croyances de ces personnes, leur faire admettre que le hasard existe et qu'ils n'ont qu'une chance infime de gagner", indique le médecin. "Nous mettons en place un rapport de collaboration entre le patient et son docteur. Il faut qu'il y ait une confiance réciproque pour que l'on puisse entamer le travail transversal avec les services d'aide sociale et le psychologue". En effet, la dépendance aux jeux est une "pathologie plurifactuelle" (combinaison d'éléments médicaux, psychologiques et sociaux - ndlr). C'est pour identifier l'élément déterminant de la dépendance que ces professionnels travaillent ensemble.

Une fois le patient sur la voie de la guérison, il n'est pas à l'abri d'une rechute. Il s'agit même d'une "éventualité raisonnablement inévitable", note le docteur. Cela peut arriver 4 ou 5 fois avant qu'une personne ne soit plus dépendante. Parfois, elle peut replonger définitivement. "Il faut dédramatiser la rechute. C'est quelque chose qui arrive", insiste Christian Dafreville. "Souvent les patients reviennent nous voir en ayant honte. Nous tentons de les rassurer et d'organiser un suivi", continue-t-il.

Le spécialiste en addictologie reconnaît que "La Réunion n'a pas d'expertise spécifique dans ce domaine". La carence devrait être palliée dans les prochains mois. En effet, les centres de l'ANPAA se transformeront bientôt en "centres de soins, d'aide et de prévention en addictologie", des structures dans lesquelles une section addiction aux jeux sera mise en place. Dans le même temps, un groupe de chercheurs devrait mener une étude sur la population "accroc" aux jeux à La Réunion. "Nous pourrons ainsi cartographier les besoins et mettre en place des plans pour soigner ces personnes", termine Christian Dafreville.

Mounice Najafaly pour
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