Victorin Lurel dans les Iles éparses

Tromelin, petite île, mais immense zone économique exclusive

  • Publié le 12 avril 2013 à 10:00

Le ministre des outre-mers, Victorin Lurel, qui arrive samedi à La Réunion, avec un emploi du temps assez chargé, doit agrémenter son déplacement d'un rapide voyage aux Iles Eparses, à bord du Marion Dufresne, bâtiment dédié à la desserte des Terres australes et antarctiques françaises qui administrent les quatre îles du canal de Mozambique et Tromelin, laquelle est posée quasiment à équidistance de La Réunion et de la Grande Ile, à plus de 500 km au Nord de Saint-Denis et à 450 km à l'Est de Madagascar. L'administration des Terres australes et antarctiques françaises devrait communiquer sous peu le détail de ce voyage dit logistique, à destination d'un îlot pour le moins stratégique.

 En effet, avec ses 3,7 km de littoral pour 1 km² de terre émergée, Tromelin génère une zone économique exclusive d'une superficie de 280 000 km², à mettre en rapport avec les 552 000 km² de la France métropolitaine. Par la grâce de tels îlots, que d'aucuns qualifient un peu rapidement de "confettis de l'Empire", la France et ses outre-mers disposent d'une ZEE d'environ 11 millions de km2, ce qui en fait l'une des trois grandes puissances océaniques, avec les USA et la Grande Bretagne.
 
La souveraineté française sur Tromelin est contestée par l'île Maurice, et Madagascar revendique pour sa part Bassas da India, Europa, Juan de Nova et les Glorieuses situées dans le canal de Mozambique.
Ces contentieux, pour être régulièrement réactualisés par les autorités mauriciennes et malgaches - Navin Ramgoolam l'a encore fait en janvier dernier lors de sa visite à l'Elysée - participent plus du folklore diplomatique que de véritables confrontations ; quand bien même les richesse potentielles des zones concernées attisent les ambitions. Sans parler des légendaires nodules polymétalliques considérés comme l'eldorado minier du futur, ou des gisements d'hydrocarbures, les seules réserves halieutiques et les droits de pêche qui en découlent valent leur pesant d'or. Et les négociations entre Etats sur la commercialisation de tels droits sont loin d'être anecdotiques. 
 
S'agissant de Tromelin, la France, sans transiger sur sa souveraineté, a opté, après mûre réflexion, près de 20 ans quand même, pour un traitement en coopération de ce contentieux formel, via une forme originale de cogestion. Une évolution sanctionnée, le 3 décembre 1999, lors du second sommet des chefs d'État de la Commission de l'Océan Indien (COI), organisé à Saint-Denis, sous l'égide de Jacques Chirac, par cette pétition de principe : "En l'absence d'un consensus entre certains pays membres concernant la souveraineté sur certaines îles de l'océan Indien ainsi que de la délimitation et le contrôle des Zones économiques exclusives (ZEE), le Sommet a décidé qu'en attendant l'aboutissement des consultations en cours, ces zones de contrôle seront cogérées par les pays qui les revendiquent. Les modalités de cette cogestion seront définies par les États membres concernés dans les plus brefs délais…"
 
De bonnes résolutions qui mettront plus de dix ans à se concrétiser,  avec un accord cadre franco-mauricien validé - à Port-Louis, suprême élégance - par Arvin Boolell et Alain Joyandet. Conclu pour cinq ans, renouvelable à l'instar d'un bail bourgeois par tacite reconduction, ce "deal" raisonnable prévoit la gestion commune de Tromelin par la France et Maurice, en matière économique - la pêche hauturière - archéologique, et dans le domaine de la protection de l'environnement.
 
Cet accord a été prorogé par le Sénat français, en procédure simplifiée, le 18 décembre dernier, mais il n'en ira pas de même à l'Assemblée nationale, où le rapport sur "le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice sur la cogestion économique, scientifique et environnementale relative à l’île de Tromelin et à ses espaces maritimes environnants" présenté par Hervé Gaymard, le 20 mars dernier, a attiré l'attention du député UDI du Tarn, Philippe Folliot, bien frotté aux problématiques india-océaniques, lequel a réclamé un débat digne de ce nom, et en procédure régulière.
 
Victorin Lurel, en se rendant avec le "Marduf" sur cet îlot qui participe du domaine privé de l'État, loin de faire du tourisme, tombe donc de plain pied dans une problématique d'importance, liée à l'affirmation de la souveraineté française. Et si le quotidien Le Monde se gausse de l'initiative du député Folliot, sans doute faut-il rappeler que François Hollande a accepté de participer au prochain sommet des chefs d'Etat de la COI qui se tiendra vraisemblablement à Maurice. Un petit Etat qui vient de renégocier avec l'UE l'octroi de droits de pêches aux bateaux battant pavillon européen, pour un tonnage annuel de référence de 5 500 tonnes attribué à 41 thoniers senneurs et 45 palangriers de surface… 
 
 
Une petite île et de gros poissons
 
L'accord de cogestion franco-mauricien sur Tromelin fait une large part à l'exploitation des ressources halieutiques présentes dans cette zone, lesquelles "sont constituées de thonidés susceptibles d’ exploitation et de certaines espèces protégées (requins, mammifères marins) menacées par la pêche illégale…"
 
Le texte du rapport présenté aux députés, précise : "jusqu’à l’intégration de Tromelin dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) (…) les navires français pouvaient y pêcher librement. Ils doivent désormais demander une licence (gratuite). Dans les faits, seuls quelques palangriers réunionnais de 24 mètres y pêchent parfois à l’occasion d’un transit vers le canal du Mozambique, les distances à couvrir étant dissuasives pour la majeure partie de la flottille réunionnaise. Les thoniers senneurs français, quant à eux, ne fréquentent guère ce secteur qui est réputé pour la présence de thon germon, apparemment considéré comme insuffisamment rémunérateur. Pour 2010 comme pour 2011, les TAAF n’ont enregistré aucune demande de licence pour Tromelin. Aucune licence n’est délivrée non plus à des armements étrangers.De son côté, Maurice n’a pas (ou très peu) d’activité propre de pêche dans la zone de Tromelin, mais délivre à des navires asiatiques des licences portant sur l’ensemble de sa ZEE, y compris celle qu’elle revendique au titre de Tromelin. L’arraisonnement par la Marine nationale en 2004 de deux navires japonais munis de telles licences (mais pas d’une licence française) a occasionné une vive tension. La presse mauricienne faisait état à cette époque de la délivrance de 1 200 licences de pêche pour l’ensemble de ses eaux. Depuis lors, Maurice délivre toujours des licences de pêche pour l’ensemble de sa ZEE, mais y mentionne par précaution que le secteur de Tromelin est une zone de souveraineté contestée (…) une certaine pêche illégale semble être pratiquée dans les eaux de Tromelin. D’après les données transmises par le ministère des affaires étrangères, entre 5 000 et 10 000 tonnes de thonidés y seraient capturés par des palangriers asiatiques. En outre, sous couvert de pêche au thon, ces navires chercheraient prioritairement à capturer des requins. Quatre navires asiatiques et un portugais en infraction à ce titre ont été arraisonnés en 2010 par la marine malgache dans la partie de sa ZEE contigüe de celle de Tromelin…"
 
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