
Invitée à s’exprimer à la suite de la diffusion de ce reportage intitulé "La Réunion, une île sous tension", la déléguée interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, Sophie Elizéon, n’a pas bronché. Sur les réseaux sociaux, elle a été brocardée pour un rire – très mal venu – à l’évocation du risque requin, signe surtout de sa méconnaissance du problème ("les requins vivent dans l’eau, nous vivons sur la terre"). Interrogée sur ce qui manque à La Réunion, elle a répondu pleine d’à-propos : "un grand projet pour fédérer tous les Réunionnais"...
Il y avait pourtant beaucoup à dire sur cette supposée "enquête". Sous le terme de "tension", le reportage englobe en vrac la délinquance, la drogue, la prostitution, le braconnage, le risque requin, la vie chère, mais aussi les courses de voitures illicites, les dangers de la randonnée, la marche sur le feu (!) et pour finir les combats de coqs. Ouf !
"À première vue, ce petit bout de France perdu en plein coeur de l’océan Indien a tout d’un paradis sur Terre, mais la vérité est loin d’être aussi idyllique...", proclame le commentaire sur le même ton uniforme que l’on retrouve dans toutes les émissions suivant le modèle de M6 et son "Enquête exclusive".
"Ici, tout peut déraper à n'importe quel moment"
Concernant la délinquance – dont on rappelle que les chiffres sont inférieurs à ceux de la métropole –, on peut voir des gendarmes "s’équipant contre les violences urbaines car ici, tout peut déraper à n’importe quel moment". Manque de chance, ce soir-là ils n’auront à se mettre sous la dent qu’un petit feu de canne, un feu de poubelle et un homme aviné tombé d’une barrière. Cela n’empêchera pas le commentaire de parler d’une "nuit agitée"...
Ce n’est rien à côté des images suivantes, montrant l’entraînement du GPI (Groupe des pelotons d’intervention), spécialisé dans "les attaques terroristes ou les prises d’otages". Après de véritables scènes de guerre en guise d’exercice, avec véhicules blindés à l’appui, les journalistes accompagnent ensuite les membres du GPI pour l’interpellation d’un "gang particulièrement violent". En fait, des mineurs braqueurs de scooters. Là, un commentaire menaçant lance : "Des affaires de cambriolages, il y en a tous les jours comme dans le reste de la métropole." Révélations on vous dit.
Vient alors le moment d’évoquer la crise requin. Evidemment, on ne pouvait échapper à la musique des Dents de la mer... avant la succession des autres clichés traditionnels : les surfeurs bravant l’interdiction qui "ont créé leurs propres règles", le président d’association qui accuse la réserve marine et la ferme aquacole, et enfin le chasseur de squale repenti devenu militant écologiste assurant que le risque est "nul" pour les plongeurs.
Et le catalogue se poursuit, sur le même ton dramatique : "L’océan n’est pas le seul endroit où la biodiversité est gravement menacée..." Et de cibler le braconnage dont est victime le tangue, très recherché car "on retrouve sa chair dans de nombreux plats réunionnais". Voilà pour le coup une réelle révélation...
"Comment les dealers ont envahi l'île"
Évoquant ensuite très rapidement les problèmes de vie chère, si ce n’est pour rappeler les émeutes de 2012, le reportage s’attaque aux prostituées venues de Madagascar, un des versants d’une économie parallèle dominée par le marché du cannabis. On promet alors de nous montrer "comment les dealers ont envahi l’île", où "cultiver du cannabis sur le terrain de quelqu’un d’autre est une pratique très répandue". Là, nouvelle révélation : un jeune toxicomane avoue se droguer pour "s’évader et oublier le quotidien". Une vraie particularité locale...
A ce moment de l’émission, on commence à perdre le fil, à ne plus savoir où l’on veut vraiment nous emmener. Il fallait sans doute boucler l’heure et demie de reportage. Alors on a filmé quelques "traditions locales" que l’on rangera allègrement au rayon des "tensions". Aussi incongru que cela puisse paraître, cette "enquête" sur les "tensions réunionnaises" nous propose alors une cérémonie de marche sur le feu, où un jeune métropolitain, en "quête spirituelle", veut s’essayer à l’exercice. "Pendant trois jours, il ne pourra plus poser le pied par terre", s’alarme la voix-off...
Il ne manquait plus que les combats de coqs avec ses "spectateurs déchaînés et galvanisés" pour boucler cette bien étrange boucle réunionnaise, au cours de laquelle les téléspectateurs n’auront au final pas appris grand-chose sur la réalité de l’île et de ses habitants.
Si tout n’est pas faux dans les multiples sujets évoqués dans ce reportage, amalgamer tous ces éléments sous le titre "une île sous tension" et les mettre en scène à ce point relève au mieux de l’incompétence, au pire de la malhonnêteté.
www.ipreunion.com
8 Commentaire(s)
Jetez vos télés, elles ne donnent rien de bon, elles cultivent la haine, pire vous isolent.