Intitulé "Une île sous tension" et diffusé sur la chaîne n°23 de la TNT

Reportage sur La Réunion : sensationnalisme et clichés à volonté

  • Publié le 11 décembre 2013 à 05:00

L'émission de la chaîne n°23 de la TNT s'appelle "Révélations" : dans un de ses reportages diffusé le 2 décembre 2013, elle promettait donc de "révéler" les dessous de La Réunion, désignée comme "une île sous tension". Mais faute de "révélations", on y retrouve surtout un amalgame de diverses réalités réunionnaises, parfois exagérées, souvent survolées voire déformées et surtout grossièrement mises en scène pour au final un résultat assez effrayant, dont on saisi bien mal la cohérence. Ou plutôt dont on saisi bien la volonté sensationnaliste, mais pas vraiment l'intérêt "journalistique".

Invitée à s’exprimer à la suite de la diffusion de ce reportage intitulé "La Réunion, une île sous tension", la déléguée interministérielle à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer, Sophie Elizéon, n’a pas bronché. Sur les réseaux sociaux, elle a été brocardée pour un rire – très mal venu – à l’évocation du risque requin, signe surtout de sa méconnaissance du problème ("les requins vivent dans l’eau, nous vivons sur la terre"). Interrogée sur ce qui manque à La Réunion, elle a répondu pleine d’à-propos : "un grand projet pour fédérer tous les Réunionnais"...

Il y avait pourtant beaucoup à dire sur cette supposée "enquête". Sous le terme de "tension", le reportage englobe en vrac la délinquance, la drogue, la prostitution, le braconnage, le risque requin, la vie chère, mais aussi les courses de voitures illicites, les dangers de la randonnée, la marche sur le feu (!) et pour finir les combats de coqs. Ouf !

"À première vue, ce petit bout de France perdu en plein coeur de l’océan Indien a tout d’un paradis sur Terre, mais la vérité est loin d’être aussi idyllique...", proclame le commentaire sur le même ton uniforme que l’on retrouve dans toutes les émissions suivant le modèle de M6 et son "Enquête exclusive".

"Ici, tout peut déraper à n'importe quel moment"

Concernant la délinquance – dont on rappelle que les chiffres sont inférieurs à ceux de la métropole –, on peut voir des gendarmes "s’équipant contre les violences urbaines car ici, tout peut déraper à n’importe quel moment". Manque de chance, ce soir-là ils n’auront à se mettre sous la dent qu’un petit feu de canne, un feu de poubelle et un homme aviné tombé d’une barrière. Cela n’empêchera pas le commentaire de parler d’une "nuit agitée"...

Ce n’est rien à côté des images suivantes, montrant l’entraînement du GPI (Groupe des pelotons d’intervention), spécialisé dans "les attaques terroristes ou les prises d’otages". Après de véritables scènes de guerre en guise d’exercice, avec véhicules blindés à l’appui, les journalistes accompagnent ensuite les membres du GPI pour l’interpellation d’un "gang particulièrement violent". En fait, des mineurs braqueurs de scooters. Là, un commentaire menaçant lance : "Des affaires de cambriolages, il y en a tous les jours comme dans le reste de la métropole." Révélations on vous dit.

Vient alors le moment d’évoquer la crise requin. Evidemment, on ne pouvait échapper à la musique des Dents de la mer... avant la succession des autres clichés traditionnels : les surfeurs bravant l’interdiction qui "ont créé leurs propres règles", le président d’association qui accuse la réserve marine et la ferme aquacole, et enfin le chasseur de squale repenti devenu militant écologiste assurant que le risque est "nul" pour les plongeurs.

Et le catalogue se poursuit, sur le même ton dramatique : "L’océan n’est pas le seul endroit où la biodiversité est gravement menacée..." Et de cibler le braconnage dont est victime le tangue, très recherché car "on retrouve sa chair dans de nombreux plats réunionnais". Voilà pour le coup une réelle révélation...

"Comment les dealers ont envahi l'île"

Évoquant ensuite très rapidement les problèmes de vie chère, si ce n’est pour rappeler les émeutes de 2012, le reportage s’attaque aux prostituées venues de Madagascar, un des versants d’une économie parallèle dominée par le marché du cannabis. On promet alors de nous montrer "comment les dealers ont envahi l’île", où "cultiver du cannabis sur le terrain de quelqu’un d’autre est une pratique très répandue". Là, nouvelle révélation : un jeune toxicomane avoue se droguer pour "s’évader et oublier le quotidien". Une vraie particularité locale...

A ce moment de l’émission, on commence à perdre le fil, à ne plus savoir où l’on veut vraiment nous emmener. Il fallait sans doute boucler l’heure et demie de reportage. Alors on a filmé quelques "traditions locales" que l’on rangera allègrement au rayon des "tensions". Aussi incongru que cela puisse paraître, cette "enquête" sur les "tensions réunionnaises" nous propose alors une cérémonie de marche sur le feu, où un jeune métropolitain, en "quête spirituelle", veut s’essayer à l’exercice. "Pendant trois jours, il ne pourra plus poser le pied par terre", s’alarme la voix-off...

Il ne manquait plus que les combats de coqs avec ses "spectateurs déchaînés et galvanisés" pour boucler cette bien étrange boucle réunionnaise, au cours de laquelle les téléspectateurs n’auront au final pas appris grand-chose sur la réalité de l’île et de ses habitants.

Si tout n’est pas faux dans les multiples sujets évoqués dans ce reportage, amalgamer tous ces éléments sous le titre "une île sous tension" et les mettre en scène à ce point relève au mieux de l’incompétence, au pire de la malhonnêteté.

www.ipreunion.com

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8 Commentaires
RosaJ
RosaJ
10 ans

Je me joins à tous les commentaires précédents - la désinformation et le sensationnalisme non seulement sont des pratiques qui détruisent l'image du journalisme, mais peuvent réellement porter grand tort à "la cible", ici La Réunion - nous en savons quelque chose à Marseille, où nous sommes presque quotidiennement " la cible" et avons eu comparativement plus de visiteurs étrangers que français en cette année où nous étions Capitale Européenne de la Culture et où tout s'est magnifiquement bien passé contrairement à ce qu'en ont dit beaucoup de médias- nous avons des yeux, des oreilles, un cerveau, utilisons tout ça pour nous faire une idée et ne gobons pas toutes les bouillies - je compte bien revenir à La Réunion dès que possible, des amis à moi ont fait le GR cet été, ils sont revenus absolument enchantés par La Réunion..;et les Réunionnais - mi embrasse a zot

laurelen
laurelen
10 ans

Bravo, IPR, pour ce papier critique. Dommage, je n'ai pas vu le reportage en question. Ca me rappelle, il y a plus de 20 ans, "les petits blancs des hauts", sur TF1. Du non-journalisme total. Plus rien ne m'étonne venant de la télé...

christian07
christian07
10 ans

bravo pour votre article.l faut réagir chaque fois que l'on nous diffuse des informations aussi erronées que celles-ci.Je me rends tous les ans sur votre belle Île pour retrouver ma fille qui y travaille depuis 18ans.Certes j'y ai remarqué une évolution de la délinquance mais de manière beaucoup moins forte qu’en métropole.Au contraire malgré le mélange de culture on ressent un bien être et une chaleur intense dans les rapports interpersonnels et ce malgré la crise économique qui frappe durement ce beau département.C'est par ignorance que de tels repartages peuvent arriver sur nos antennes.Alors Mètros n'hésitez pas à vous rendre à la Réunion et pour cela demandez à ce que les tarifs aériens soient plus abordables comme ceux des îles des caraïbes afin que vous puissiez goutter la vraie réalité de ce coin de France.

regarde
regarde
10 ans

Quelle est la part de responsabilité de la préfecture de La Réunion dans ce ramassis d'infos ,on ne peut tourner des images de la gendarmerie et autres sans l'aval de l'état donc la préfecture de La Réunion

olbap
olbap
10 ans

Ce que j'en pense MOI ? J'ai regretté tout d'abord de ne pas avoir pu regarder l'émission car je n'étais pas chez moi. Je pensais que les médias, journalistes et autres auraient montré les si bons côtés de cette île - je vis en Métropole, mes enfants et petits-enfants sont à St Pierre depuis 19 ans - j'y vais tous les ans pendant deux mois et il n'y a que là-bas que je n'ai nullement peur de me promener le long du littoral jusqu'à 23h et parfois plus, mon portable à la main .... sans avoir jamais été victime d'une quelconque "agression" (le mot est fort ...) ni autre. Ma fille refuse d'avoir la télé pour, justement, ne pas "pourrir" l'esprit de ses enfants et les laisser vivre tout en restant prudent, comme partout ce qui est normal. Que les personnes qui ont réalisé cette émission regardent plutôt ce qui se passe en Métropole : là il y a de quoi s'inquiéter, nous aimerions bien que les problèmes se résolvent à des feux de poubelles, ou à une personne qui aurait trop bu !! La Réunion est une île où comme partout il peut y avoir des problèmes mais à quel niveau et surtout dans les quartiers du Chaudron : ici il n'y a qu'à voir tous les braquages qui se font en plein Paris dans les beaux quartiers, à Nice etc.. etc... Voilà c'est vraiment MON COUP DE GUEULE !!!!!!!!!

phil
phil
10 ans

J'ai vécu à La Réunion pendant 4 ans maintenant je vis à La Rochelle environ 6 mois de l'année et 6 mois La Réunion, jamais je n'ai vu et eu de problèmes avec les habitants, les gens sont formidables et très serviable, la délinquance n'est pas pire qu'en métropole, j'ai vu moi même le reportage est j'ai été très surpris et écoeuré de voir comment on peut essayer de détruire le tourisme, l'image donnée de La Réunion ne reflète pas du tout la réalité. Alors un conseil n'hésitez pas venez voir cette ile magnifique vous serez émerveillé. je suis sincèrement un amoureux et fervent défenseur de cette ile.

fapa17
fapa17
10 ans

J'ai été scandalisée par l'image négative donnée par ce reportage. C'est inadmissible qu'on laisse diffuser de tel reportage sans censure préalable.

dav
dav
10 ans

Bravo M6, encore de la propagande télévisuelle pour abrutir le spectateur.
Jetez vos télés, elles ne donnent rien de bon, elles cultivent la haine, pire vous isolent.