Hôpital de Mayotte

Enquête délicate sur une mort en cours d'accouchement

  • Publié le 14 décembre 2014 à 12:30

Selon notre confrère France Mayotte, le Centre hospitalier de Mayotte a enregistré, le 30 novembre dernier, le décès d'une parturiente présentant un tableau de grossesse à risque, en cours d'accouchement d'urgence par césarienne. Cet accident clinique dramatique, la victime était mère de cinq enfants, le sixième ayant été sauvé en dépit de la mort de la mère, a conduit le Directeur de l'hôpital de Mayotte, Etienne Morel, à saisir l'Agence Régionale de Santé océan Indien, basée à La Réunion, et qui a compétence sur le 101e département français. Par communiqué du 10 décembre, l'ARS a de fait annoncé prendre "des mesures pour identifier les circonstances et les causes du décès (...) une mission d'inspection a été diligentée pour déterminer les circonstances du décès et de la prise en charge de la patiente. Ces investigations sont actuellement en cours. Le Procureur de la République en a été informé et sera saisi au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, si elles révèlent des faits semblant relever d'une qualification pénale."

Au-delà, France Mayotte rapporte des éléments troublants relatifs aux circonstances dudit décès. D'après le quotidien mahorais, le mari de la victime, fort éprouvé, aurait  fait connaître son intention de déposer une plainte contre l'hôpital sur la base d'informations qui lui permettraient de penser que son épouse n'a pas bénéficié de l'encadrement ad hoc lors d'un accouchement que l'on savait être risqué.

Selon France Mayotte qui rapporte les griefs du futur plaignant, le médecin qui a pratiqué cet acte de chirurgie obstétrique, était un praticien étranger, extra-européen, embauché comme tant d'autres par les hôpitaux français pour pallier la carence en personnel hospitalier qualifié. Cette personne, recrutée légalement, sous couvert de l'ARS, attestait d'une formation et d'un cursus universitaire algériens.

Sur le fond, ce n'est point tant la qualité de cette formation qui serait en cause, mais le statut de ce personnel de santé, et possiblement, la possibilité pour lui d'exercer ses compétences, seul, hors la tutelle d'un praticien inscrit au Conseil de l'ordre, en attendant la totale "francisation" de ses titres.

En France, pour exercer, il faut être docteur en médecine et inscrit au Conseil de l'Ordre. Ce qui n'empêche pas les internes, par exemple, d'accomplir un travail important dans l'univers hospitalier. Mais ils le font sous l'égide de praticiens confirmés qui sont responsables du fonctionnement des services et de la formation qui s'y trouve prodiguée.

Un taux extraordinairement élevé de rotation des personnels

Selon les sources de France Mayotte, l'obstétricienne confrontée à l'accouchement compliqué et dramatique de la parturiente en question n'aurait pas été contrôlée dans ses gestes par son praticien référent. Ce sera donc à l'enquête d'établir les responsabilités des uns et des autres, si tant est que cette procédure puisse éclairer grand chose. La victime a été rapidement inhumée, c'est traditionnellement le cas sous les tropiques, et il paraît peu probable qu'une autopsie significative puisse être réalisée, si tant est qu'elle le soit. Les sociétés islamiques proscrivent de tels actes. Quant au praticien qui exerçait lors de cet accouchement catastrophique, France Mayotte précise, citant notamment le directeur Etienne Morel, qu'il a licencié incontinent, mais qu'il résiderait toujours sur l'île.

Cet hôpital, souvent présenté comme la plus grande maternité de France, n'est pas une destination prisée des médecins français, pour cause de coût de la vie élevé, insécurité, atteintes aux biens et aux personnes… Selon la Cour des Comptes, le CHM connaît en conséquence un taux extraordinairement élevé de rotation des personnels ; jusqu’à 500 médecins y exercent chaque année, alors qu’ils ne sont que 190 présents en moyenne. Ce sont pour moitié des remplaçants venus de métropole avec des contrats inférieurs à six mois, voire parfois limités à un mois ! En gynécologie obstétrique, néonatalogie et pédiatrie, près de 50 % des postes hospitaliers sont occupés par des remplaçants, souvent pour de courtes durées. Cette instabilité, obère sans doute la qualité des prestations et la sécurité des patients, sans parler de la continuité des parcours de soins, pourtant considérée comme priorité nationale. France Mayotte qui cite des interlocuteurs internes au Centre hospitalier, met en exergue le fait que “dans ce service, un médecin sur deux est dans la même situation que celle ayant procédé à l’opération.”

Jusqu'en 2012, la plupart des praticiens étrangers non européens, exerçaient en France sous le statut peu rémunérateur de "Faisant fonction d’interne". depuis 2012 et la réforme de ces pratiques, pour obtenir exercer de plein droit, il leur faut satisfaire à une procédure d’autorisation d’exercice, qui suppose une épreuve de vérification des connaissances, en sus d'une période probatoire au sein des services de soins agréés pour la formation des internes ; à la suite de quoi les praticiens postulants passent deux examens pratiques écrits, avant de déposer leur dossier auprès de la commission d’autorisation d’exercice, seule habilitée à  statuer sur leur aptitude à exercer, en France. Enfin, il leur faudra obtenir autorisation d’exercice et inscription à l’Ordre des médecins.

Des décennies de dictature absurde du numerus clausus

Un tel cursus peut prendre une décennie. Ainsi, les praticiens étrangers exerçant dans le cadre français depuis 2010, souvent dans des qualifications inférieures à leurs titres, ont-ils été autorisé par le parlement à bénéficier d'un délai supplémentaire pour passer leur examen de compétences. La date butoir a été repoussée du 31 décembre 2014 au 31 décembre 2016. En 2012, date du texte de loi en question, ils étaient environ 4 000, en activité, qui ne s'étaient pas soumis à l'examen de compétences.

Dans l'enquête qui sera menée par l'ARS, et qui sait, par la justice, il sera sans doute facile de déterminer quel était l'état de la praticienne algérienne concernée, si elle intervenait sous statut d'attaché, et auquel cas comment était-il possible qu'elle pratique des actes de chirurgie obstétrique en lieu et place d'un docteur en médecine, inscrit au tableau de l'Ordre, occupant de facto un poste vacant de chirurgien obstétricien titulaire ? En l'occurrence la responsabilité de  l'administration hospitalière serait en cause. Et constituerait une preuve de plus du scandale qui voit depuis vingt ans, hôpitaux et collectivités embaucher par souci économique des professionnels de santé étrangers qui servent de variable d'ajustement à un système de santé verrouillé dans son recrutement par des décennies de dictature absurde du numerus clausus.

Par ailleurs, il faudra déterminer, sur la base du témoignage des divers intervenants présents lors de cet accouchement, si une ou des fautes professionnelles ont été commises, qui auraient entraîné, par défaut de compétence et d'organisation du service, le décès de la parturiente.

Philippe Le Claire, avec France Mayotte, pour www.ipreunion.com

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1 Commentaires
Dr.Patrick DANCOISNE
Dr.Patrick DANCOISNE
9 ans

Chirurgien gynécologue en retraite réserviste de l'EPRUS j'ai fait un rapport de mission a Mayotte en août dernier cela vous intéresse-t-il de le lire?