
- Voter ou ne pas voter, telle est la question -
La grande interrogation de ce second tour sera le taux de participation. Au premiertour, 46,36% des Réunionnais s’étaient abstenus (26% au niveau national), démontrant déjà un désintérêt important de la population pour ce scrutin.
Le second tour ne devrait pas voir la situation s’améliorer avec la présence de deux candidats qui ne semblent pas en mesure de rassembler. Dans ce contexte, bon nombre de Réunionnais semblent enclins à préférer profiter de leur dimanche plutôt que d’aller accomplir leur devoir civique.
Puis il y a ceux qui plaident pour l’alternative du "ni, ni" à savoir ne voter ni pour Marine Le Pen, ni pour Emmanuel Macron, en votant nul ou blanc. C’est notamment le choix exprimé par une majorité des 215.292 personnes qui ont participé à la consultation lancée par la France Insoumise. 37,65% d’entre eux ont indiqué qu’ils voteraient blanc ou nul, 29% ont indiqué qu’ils s’abstiendraient, et 33,4% glisseraient le bulletin d’Emmanuel Macron.
Si l’abstention et le vote blanc ou nul ont le mérite d’exprimer le refus d’adhérer à aucun des camps, il ne représente pas l’expression d’un votre démocratique compte tenu du fait qu’ils n’ont aucun impact sur l’issue du scrutin.
Certes, cela permet de marquer le coup d’un point de vue personnel, mais il ne permet pas d’influer sur le scrutin et donc des conséquences en cas de victoire de l’un ou l’autre camp. Être fataliste et se dire qu’on va subir les 5 années à venir est une chose. Mais faut-il pour autant renier son histoire et ses valeurs, et laisser les autres choisir à sa place ?
- Voter Le Pen, fausse bonne idée ? -
Ce qui semblait impensable il y a quelques temps est aujourd’hui une réalité. Nombreux sont ceux qui affichent sans complexe leur soutien à Marine Le Pen, celle-là même dont le camp était diabolisé comme étant celui de la haine et du racisme il y a quelques années.
Conséquence, lors des repas de familles de ce week-end pascal ou encore à l’occasion de sorties entre amis, nombreux sont ceux qui ont entendu un ami ou un membre de sa famille être prêt à franchir le Rubicon en coulant un bulletin en faveur de Marine Le Pen.
C’est une tendance d’autant plus étonnante à La Réunion, terre du vivre ensemble où en pouvait penser que, par notre histoire et notre cheminement commun, les Réunionnais sauraient refuser coûte que coûte de telles idées et idéologies.
Mais Marine Le Pen semble avoir réussi son pari, celui de banaliser l’extrême droite, de rendre son parti fréquentable, acceptable, et aujourd’hui, présidentiable. Cela, alors que l’histoire du Rassemblement National, ex Front National, est profondément ancré dans les idées nationalistes et xénophobes. Pas de quoi faire frémir les Réunionnais qui, loin de s’en détourner, semblent adhérer ouvertement aux propositions de la représentante du Rassemblement National.
- Emmanuel Macron n’arrive plus à être le vote par défaut -
Bien évidemment, elle n’est pas la seule responsable de cette dynamique. L’impopularité d’Emmanuel Macron a contribué mécaniquement à la montée en puissance de son adversaire.
La faute à un bilan contrasté, des crises mal gérées (gilets jaunes / Covid-19) et des petites phrases polémiques et surtout stigmatisantes de certaines catégories de la population.
Malgré tout, dès le soir du 1er tour, certains politiques de premier plan ont appelé à voter en faveur d’Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen. On peut citer Anne Hidalgo, Valérie Pécresse, Yannick Jadot ou encore Fabien Roussel. Si Jean-Luc Mélenchon n’a pas ouvertement appelé au front républicain, il a affirmé que "pas une seule voix ne doit aller à Marine Le Pen". Dans les jours suivants, des figures telles que Nicolas Sarkozy ou François Hollande ont à leur tour appelé à voter en faveur d'Emmanuel Macron. Localement, la même dynamique s’est installée avec des appels venant de Cyrille Melchior, Michel Fontaine et même Huguette Bello.
Mais voilà, à écouter les Réunionnais, la mayonnaise ne semble pas prendre. Non seulement Emmanuel Macron ne semble pas arriver à dresser un front républicain derrière lui, mais en plus il n’arrive même pas à représenter un vote par défaut pour faire barrage à l’extrême droite avec ce discours qu’on entend de plus en plus : "pourquoi ne pas tenter Marine ?".
- Gare aux lendemains qui déchantent -
Bien évidemment, l’acte de voter est libre, et c’est une grande force de la démocratie française que de laisser le choix aux électeurs de se rendre aux urnes ou pas.
Cette démocratie est encore perfectible, ne laissant aucune place réelle à l’expression des abstentionnistes et à ceux qui votent blanc ou nul et qui peuvent représenter une part non négligeable (voire la majorité, selon les scrutins) de la population.
Mais ce scrutin du 24 avril s’annonce en tout point décisif dans un contexte de crise sanitaire, de crise économique et sociale, et d’instabilité internationale croissante. Le choix qui sera fait va influer sur la politique locale, nationale et internationale pour les cinq prochaines années.
Si l’appel de la sirène de certaines promesses, d’un goût de l’aventure, voire même d’un vote contestataire peut amener notre pays à emprunter des chemins sinueux et au final dangereux, il faut prendre garde aux lendemains qui déchantent. L’histoire de La Réunion, de la France, et même du monde a déjà montré combien un vote de colère peut être mauvaise conseillère et avoir des conséquences irrémédiables, pas seulement sur cinq ans, mais sur des décennies.
Quel que soit le gagnant de ce scrutin, un sentiment d’échec va tout cas peser sur ce quinquennat, avec une nécessaire remise en cause de la classe politique en général qui plus que jamais a crée un espace de popularité pour les discours d’extrême droite.
Aussi, au moment de couler notre bulletin dans l’urne, ce dimanche 24 avril, ayons à l’esprit cette phrase d’Albert Camus : "chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse".
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