Proposition de Marine Le Pen

La présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre, mesure radicale presque passée inaperçue

  • Publié le 22 avril 2022 à 09:40
  • Actualisé le 22 avril 2022 à 09:41

Déjà abordée lors des précédentes élections présidentielles, la question de la présomption de légitime défense pour les forces de l'ordre refait surface cette année. Défendue par Marine Le Pen, elle consiste à restreindre les poursuites pénales à l'encontre des policiers et des gendarmes lors d'accusations de violences. L'usage de leur arme n'aurait alors plus à être justifié, il reviendra au contraire à la victime de prouver que la légitime défense n'a pas lieu d'être. Une proposition radicale et pourtant peu présente dans les débats, qui tend à s'aligner sur le modèle américain et fait craindre aux opposants du Rassemblement national des dérives sans précédent en cas d'interpellations musclées (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Ne plus avoir à justifier un tir pour neutraliser un citoyen qui refuse d'obtempérer : c'est ce qui pourrait arriver si Marine Le Pen parvient à l'Elysée. Dans son programme, elle défend en effet la "présomption de légitime défense" pour les forces de l'ordre. Une idée déjà abordée par le passé lors des présidentielles en France, et ce même avant les attentats de 2015.

La candidate du Rassemblement national porte cette mesure pour "réarmer moralement les forces de l'ordre", afin de "faire régner l'ordre républicain sur tout le territoire". Elle souhaite ainsi leur permettre de faire "usage de la force lorsque cela est nécessaire sans jamais craindre de l'utiliser". Marine Le Pen juge le cadre actuel "trop restrictif" pour les policiers et les gendarmes "sachant pertinemment que les policiers et les gendarmes sont réticents à recourir à la force en raison des poursuites dont ils font souvent l’objet".

Concrètement, l'usage de la "force" comme le dit la candidate RN n'aurait plus à être justifié dans le cadre d'une enquête, comme l'explique Aaeza Cadjee, avocate au barreau de Saint-Denis. C'est ce qu'on appelle en droit l'inversion ou le renversement de la charge de la preuve. "Cela signifie que le policier ou le gendarme n'aura pas à apporter la preuve de l'usage de son arme, c'est la victime qui porte plainte qui devra au contraire démontrer qu'il ne s'agit pas de légitime défense."

- "Une marque de confiance" -

Le système tel qu'il est présenté se rapproche du modèle américain et vise à limiter les poursuites pénales à l'encontre des forces de l'ordre. A La Réunion, les agents sont globalement pour mais restent prudents dans leur défense de la mesure, conscients de marcher sur un terrain miné tant la question est polémique.

Du côté d'Alliance Police nationale 974, Idriss Rangassamy pèse bien ses mots. Si la maison mère de son syndicat s'est clairement positionnée pour cette mesure, lui reste prudent. "Je ne pourrais pas vraiment dire qu'on appuie cette proposition, l'idée n'est pas d'avoir des 'allègements' dans l'usage de notre arme. On ne demande évidemment pas une carte blanche ou un permis d'utiliser notre arme à tout va" nuance-t-il tout de go. Mais depuis des années déjà, le policier se bat contre "l'acharnement" dont sont parfois victimes selon lui les policiers en cas d'affaire médiatisée. "Quand l'un de nos collègues est pris dans une affaire, il est accusé avant même qu'il y ait enquête" déplore celui qui voudrait que la justice prenne "davantage en compte la réalité du terrain".

Cette demande, elle se concrétise justement dans la présomption de légitime défense, que Mickaël Hoareau, de l'Unsa police Réunion, soutient plus directement. "Avec le réflexe de tout filmer, le policier est tout de suite coupable alors que l'interpellation est sortie de son contexte" accuse l'agent de police. "On ne veut pas enlever toute culpabilité aux forces de l'ordre, pas du tout, mais éviter la garde à vue automatique. C'est l'enquête ensuite qui déterminera la responsabilité ou non de l'agent. Cette mesure, c'est une marque de confiance envers les policiers" estime-t-il.

"Aujourd'hui, le policier qui agit en légitime défense fait automatiquement l'objet de poursuites pour des faits de violences volontaires" regrette Edwige Guesneux, secrétaire d'Unité SGP Police-Force Ouvrière 974. Elle appelle alors à bien différencier la légitime défense de ces violences. "Aucun policier ne peut se soustraire à ses responsabilités, mais il s'agit de mieux prendre en compte les faits, et une prise en charge de l'agent qui agit en service pour se défendre ou défendre autrui." L'usage de la force devant selon elle à tout prix resté proportionné. Une proportion dès lors difficile à mesurer pour la justice si la légitime défense est présumée dès le départ.

- Une mesure anti-constitutionnelle ? -

Pour le citoyen lambda, le code pénal prévoit dans son article 122-6 qu'"est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ; pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence".

Face à un policier ou un gendarme qui bénéficie de la présomption de légitime défense, le rapport est inégal, selon l'avocate Aaeza Cadjee. "Ça place de fait les forces de l'ordre au-dessus des citoyens d'un point de vue juridique. Avec la charge de la preuve renversée, l'agent n'a pas à justifier la légitime défense, elle est considérée comme acquise" insiste-t-elle. Si la mesure passe, il revient à la partie civile de prouver que la légitime défense n'est pas justifiée.

"C'est comme pour un procès-verbal" illustre quant à lui l'avocat Normane Omarjee. "Le policier est supposé de bonne foi : une fois le PV établi, il n'est pas question de savoir s'il est vrai ou pas. Dès lors qu'il a été signé, il a une valeur probante." Et si l'usage de l'arme de service peut être une circonstance aggravante, il deviendrait ici au contraire une circonstance atténuante, puisque c'est la fonction même de l'agent, dans le cadre de son travail, qui est protégée.

Normane Omarjee s'interroge alors sur le bien-fondé de la présomption de la légitime défense, au regard de la Constitution. Selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, constitutionnelle depuis 1971, "tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi". Avec cette différenciation entre citoyens, la question constitutionnelle se pose en effet.

- La crainte des "bavures policières" -

Le risque direct : des "bavures" policières, dûes à un "excès de zèle", c'est du moins ce que redoute Aazea Cadjee. "Il n'y a pas d'impunité et la présomption de légitime défense ne changera pas grand-chose juridiquement parlant puisque cela n'empêche pas d'ouvrir une enquête, mais en jouant sur le 'moral des troupes' comme le veut Marine Le Pen, on peut conduire à des dérives. Il faut saluer le sang-froid des forces de l'ordre, mais dans le cas de situations très tendues où il faut agir vite, cette mesure peut pousser à un usage plus fréquent de son arme" craint l'avocate.

Du côté des associations et mouvements anti violences policières, on ne cache pas les craintes que suscite une telle proposition. A La Réunion, la Ligue des droits de l'homme s'inquiète de voir des violences sans précédent, et qualifie la proposition de Marine Le Pen de "gravissime".

L'occasion de renvoyer à la loi du 28 février 2017 qui recadrait déjà l'usage des armes de service, pour aligner les policiers sur les gendarmes. "Après sommations, les forces de l'ordre pourront ouvrir le feu dans des situations déterminées. Les policiers municipaux armés pourront faire usage de leur arme en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui" indique alors cette loi.

Assouplir encore la mise en cause des forces de l'ordre, dans une époque où les "bavures policiers" sont un sujet de plus en plus abordé, fait craindre un certain laxisme alors que déjà peu d'affaires débouchent sur des condamnations d'agents en France.

mm/www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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6 Commentaires
Zozimé
Zozimé
1 an

Et pourquoi ne pas parler de ce que macron prévoit de faire pour les 5 ans à venir ... hein '

tib
tib
1 an

@Lia : où avez vous lu que la presse doit être neutre. La presse neutre ça n'existe pas, en revanche c'est important de savoir ou penche le média qu'on lit / regarde. Les médias qui se prétendent neutres sont les pires : ils ne disent jamais d'où provient l'argent qui sert à produire leur contenu et où penche leur opinion. Lisez l'humanité, libé, vous savez que c'est à gauche. Le figaro à droite etc. et c'est très bien comme ça pour se faire une opinion..

Sous Le Pen, ce serait des violences systématiques et non pas juste quelques débordements.
Sous Le Pen, ce serait des violences systématiques et non pas juste quelques débordements.
1 an

@Pat: il y a eu certains débordements sous Macron, mais cela deviendrait systématique et bien plus grave si Le Pen passerait. Regarde son idole Poutine.

Lia
Lia
1 an

Moi je pense que la presse qui devrait normalement être neutre fait de l'acharnement sur la candidature de Marine Lepen.

Pat
Pat
1 an

"A La Réunion, la Ligue des droits de l'homme s'inquiète de voir des violences sans précédent,..." mais que fait alors le président actuellement en exercice '!!!

Ded
Ded
1 an

Elle caresse dans le sens du poil , et même plus , l'un de ses électorat le plus fidèle ( environ 60% des forces de l'ordre votent Front national depuis longtemps)