Aides sociales

Frauder pour "s'en sortir"

  • Publié le 24 juin 2011 à 06:00

Sur une île où le taux de chômage avoisine les 30%, où 52% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et où la vie est plus chère qu'en Métropole, des Réunionnais disent devoir recourir à la fraude aux aides sociales pour "s'en sortir". C'est le cas de Brigitte*, femme au foyer bénéficiaire du RSA et de David*, ancien salarié du BTP en fin de droits.

Brigitte est une femme au foyer d'une trentaine d'années sans qualification particulière et bénéficiaire du RSA. Mère d'un garçon de 7 ans, la jeune femme touche diverses allocations en tant que parent isolé. En effet, son concubin avec lequel elle vit depuis 13 ans n'a pas reconnu son fils. La jeune femme touche donc 572,30 euros par mois au titre des prestations sociales. S'ajoute le salaire de 1 000 euros de son concubin, agent communal.

La famille gagne donc environ 1 500 euros par mois. Toutes les charges déduites, "il ne reste plus grand chose à la fin du mois", confie Brigitte. Dos au mur, la mère de famille a choisi de travailler illégalement, en tant que femme de ménage. Ce qui lui rapporte environ 200 euros par mois. "C'est un petit plus à la fin du mois pour mieux s'en sortir", affirme-t-elle. La femme au foyer se dit "consciente des risques" de ce genre de pratique : "je sais que j'aurai de gros problèmes avec les autorités si ma fraude est découverte mais j'ai un enfant à élever. Je n'ai pas le choix", déclare-t-elle, en soupirant.

David dit lui aussi être "obligé" de frauder pour "s'en sortir". Cet homme d'une quarantaine d'année est en concubinage et a deux enfants. Il travaille dans le monde du BTP depuis environ 10 ans. Sa carrière s'est arrêtée brutalement au début de l'année 2010, lorsque son entreprise s'est retrouvée sans activité à cause de la crise économique. "Mon patron n'avait plus les moyens de me payer. Nous avons donc mis fin à notre collaboration", raconte David. Cela lui a permis de toucher les allocations chômage pendant environ un an.

Aujourd'hui, il se retrouve en fin de droits et ne gagne plus que 500 euros par mois. Pas assez pour ce père de famille dont la concubine gagne environ 1 000 euros grâce à un "petit contrat à la mairie". "A la fin du mois, nous n'avons plus d'économie. Il arrive même que nous nous retrouvions à découvert", raconte-t-il. David a essayé en vain de trouver du travail. "Personne n'embauche", explique-t-il l'air résigné.

Il a donc choisi de se tourner vers le travail non déclaré en accumulant les "petits boulots". Jardinage, bricolage, travaux à domicile ou sur des chantiers ou encore chauffeur, l'homme propose ses services dans différents domaines. Le tout, pour des "sommes dérisoires". "Je suis bien obligé de proposer des prix attractifs pour fidéliser les clients. Sinon ils ne m'appelleront plus", justifie ce professionnel du BTP. Grâce à cette activité, l'homme peut gagner 500 à 600 euros par mois. De quoi permettre à sa famille de "sortir la tête de l'eau".

David déclare lui aussi être conscient des risques liés à ce type de pratique. "En cas d'accident, j'aurai des problèmes. Mais je n'ai pas le choix", martèle-t-il. "Le travail clandestin est la seule solution si je veux m'en sortir", poursuit-il. Mais l'homme âgé de 42 ans ne se voit pas travailler toute sa vie dans la clandestinité. "J'aimerais bien avoir un travail déclaré et stable. Comme ça, je pourrai enfin financer mon mariage", espère-t-il.

Selon un rapport parlementaire dévoilé par l'Agence France Presse, le montant de la fraude aux prestations sociales (indemnités d'arrêts maladie, allocations, RSA...) est compris entre 2 et 3 milliards d'euros au niveau national. Du côté de la CAF de La Réunion où on gère le RSA et les autres allocations, on évalue à 4,3 millions d'euros le préjudice "détecté" de la fraude aux prestations sociales, soit 355 dossiers. Mais impossible pour les services de la CAF d'évaluer l'ampleur de la fraude. "Nous n'avons aucune donnée", explique Liliane Pausé, directrice adjointe de la caisse d'allocation familiale.

Du côté du parquet, Dominique Auter, vice-procureur en charge des affaires de fraudes est clair: "il n'y a pas davantage de travail illégal et de fraudes aux prestations sociales à La Réunion qu'ailleurs". Sans défendre cette pratique, il tend à la minimiser sur l'île: "à La Réunion, des personnes ne déclarent pas leur activité pour gagner une "petite monnaie" en complément des aides sociales. Il n'y a pas de vaste réseau de travailleurs clandestins comme en Métropole ou dans le Sud de l'Italie. C'est plutôt une délinquance de misère", commente-t-il.

Dominique Auter termine en rappelant que le nombre de contrôles et de procès verbaux dressés à La Réunion pour travail clandestin est "largement supérieur à la moyenne nationale". "Il n'y a aucune tolérance pour les fraudes", tient-il à signaler. Selon les chiffres de la direction du travail, 1 251 contrôles ont été effectués dans des entreprises en 2010, ce qui a conduit à l'établissement de 127 procès verbaux, dont 59% pour du travail non déclaré.

*Prénoms d'emprunt

Mounice Najafaly pour
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