Problème de concentration, creusement des écarts, sureffectifs...

L'école après le confinement : dur pour les élèves, dur pour les enseignants

  • Publié le 12 octobre 2020 à 15:10
  • Actualisé le 12 octobre 2020 à 15:48

Un mois et demi après une rentrée scolaire mouvementée suite à la crise de la Covid-19, la situation semble toujours compliquée pour les élèves et le corps enseignant. Problèmes de concentration, creusement des écarts, sureffectifs... Partout sur l'île, enfants et enseignants tentent de s'adapter. (Photo d'illustration rb/www.ipreunion.com)

Après quasiment six mois sans mettre les pieds à l’école, la reprise est compliquée pour les élèves et le corps enseignant. Syndicats, directeurs d’école et enseignants de l’île s’accordent sur un retard et des difficultés d’apprentissage liés, sans surprise, au confinement. "On a l’impression d’avoir récupéré des élèves avec un retard de six mois" déplore Cécile Chèze. Elle est membre du Saiper (syndicat alternatif des Iinstituteurs et des professeurs des écoles) et enseignante chargée de l’aide à dominante pédagogique pour le Rased (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) dans le secteur Chaudron-Prima à Saint-Denis.

"Il y a des élèves de CE1 avec un niveau de lecture et de numération de milieu CP" s’alarme-t-elle. Même son de cloche du côté de Saint-André, pour Guillaume Aribaud, membre de la FSU (fédération syndicale unitaire) et enseignant en maternelle. Il remarque avec ses collègues "que l’écart entre les élèves de CP/CE1, déjà présent avant le confinement, s’est encore creusé, laissant de côté ceux qui étaient déjà en difficulté." Tous deux soulignent un problème d’hétérogénéité dans le niveau des élèves, avec "des très bons et des très mauvais" comme le précise Cécile Chèze.

- Un changement de comportement chez les élèves -

Le comportement des élèves a également changé : Jacqueline Hoarau, directrice de l’école Marcel Lauret à la Saline-les-Hauts (Saint-Paul), a noté que "pendant les six premières semaines, les élèves n’étaient pas concentrés, pas posés". Ressenti similaire chez Cécile Chèze pour qui "les enfants ont eu du mal à se remettre en place, reprendre des habitudes de travail et manquaient de concentration."

Selon Jérôme Motet, professeur de langue au collège du 14ème (Le Tampon) et représentant du Snalc (syndicat national des lycées et des collèges) les enfants et adolescents "ont perdu l’envie d’apprendre". Le ministère de l’Education nationale note que le confinement a aggravé de 15 à 25% le décrochage scolaire dans les Outre-mer. L'enseignant déplore que les institutions "ne rappellent pas assez aux élèves qu’ils ont leur part à faire dans leur propre éducation et laissent le mauvais rôle aux professeurs".

D’après Evelyne Bazile, professeure au Chaudron pendant la période du confinement et actuellement enseignante dans le Bas de la Rivière (Saint-Denis), "seuls quatre ou cinq élèves sur douze se connectaient régulièrement, les autres le faisant de manière occasionnelle jusqu’à abandonner complètement".

Le taux d’absentéisme est également plus important cette année selon Guillaume Aribaud : "il y a un absentéisme énorme quand il y a une suspicion de cas, comme si l’école était facultative". Jacqueline Hoarau, à la Saline-les-Hauts est plus modérée car "les enfants sont présents et que seulement deux familles ont demandé à faire l’école à la maison". Elle se rappelle cependant que "des cas dans une école voisine ont amené par erreur les parents à récupérer leurs enfants en pleine journée, pensant que leur école était touchée".

Côté socialisation, les professionnels de l’éducation ont également remarqué des changements chez les enfants. D’après Evelyne Bazile, "les élèves avaient tendance à ne plus interagir avec leurs camarades". Tendance similaire à Saint-André où "les enfants avaient perdu le goût de jouer ensemble" selon Guillaume Aribaud. Après plusieurs semaines, ils commencent "enfin" à constater une amélioration.

- Une fracture numérique évidente -

Le personnel éducatif attribue ces différents troubles au confinement qui "aurait donné de mauvaises habitudes aux élèves" d’après Jacqueline Hoarau. Guillaume Aribaud pousse plus loin l’analyse en liant les problèmes d’attention aux écrans numériques utilisés pendant cette période.

Lire aussi : Confinement et décrochage scolaire : une fracture peut en cacher une autre

La continuité pédagogique à distance assurée par l’usage d’outils numériques aurait également accentué les inégalités et les disparités entre les élèves, selon les syndicats. D’après le rectorat, près de 10.000 élèves de La Réunion ont été en situation de "déconnexion numérique" durant cette période. "Des questionnaires ont été distribués aux familles afin de connaître les outils à disposition pour les enfants à la maison, beaucoup nous ont répondu avoir simplement le smartphone de maman" se désole Guillaume Aribaud.

La directrice de l’école Marcel Lauret quant à elle, a dû prêter du matériel aux familles qui en avaient besoin. Selon Cécile Chèze, "l’enseignement à distance a été valorisé par le gouvernement alors que la réalité du terrain était toute autre". Evelyne Bazile confirme en précisant que "trois ou quatre élèves n’étaient pas équipés numériquement et ont reçu des documents papiers à la place."

- Manque de moyens humains -

En plus d’un déficit de matériel, les syndicats dénoncent également un manque de moyens humains. "Le gouvernement met en place des formations liées à la gestion de la crise sanitaire mais n’embauche pas de personnel pour les réaliser. On donne des missions supplémentaires à des gens déjà surchargés et dont ce n’est pas le travail" dénonce le représentant de la FSU. "Cette masse de travail, en plus du protocole sanitaire nous empêche de créer une relation avec les parents, ce qui éloigne les enfants" ajoute-t-il en substance.

Le manque de personnel se traduit aussi par un sureffectif au niveau des établissements scolaires, très marqué à La Réunion. Il serait ainsi difficile pour les enseignants d’accorder du temps aux élèves les plus fragiles qui en auraient besoin. "En sixième, beaucoup d’élèves n’ont pas le niveau, il faut reprendre les lacunes de l’année précédente au lieu d’appliquer le programme attendu" ajoute Guillaume Aribaud.

Si le confinement a modifié significativement l’attitude des élèves poussant les enseignants à s’adapter, les syndicats dénoncent aussi - "en fait surtout" - disent-ils, un manque de considération du gouvernement. La FSU, le Snalc et le Saiper appellent à une reconsidération du monde de l’éducation par le gouvernement ainsi qu’une prise de conscience de la réalité du terrain.

vc / www.ipreunion.com / redac@ipreunion.com

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2 Commentaires
Missouk
Missouk
3 ans

Le contraire eut été étonnant... Même si les enseignants savent faire et feront, ils doivent s'adapter à quelque chose d'un peu nouveau... Sans aucune aide bien sÃ"r de leur Ministère! Aucun poste supplémentaire pour soutenir notamment les élèves qui ont le plus décroché, alors qu'en Italie 5 000 postes ont été créés dans l'urgence, 20 000 étant annoncés dans le cours de l'année scolaire. Le ministre BLANQUER est totalement muet et absent des médias depuis plusieurs semaines, on se demande pourquoi!

Caillou
Caillou
3 ans

Mesdames et messieurs les enseignants avec votre savoir faire vous êtes en mesure de trouver les solutions. Courage et huile de coude!