
• Pourquoi cette décision d'arrêter la compétition alors que tu figures toujours parmi les meilleurs surfeurs au monde et que tu n'as "que" 33 ans ?
- J'ai pris ma décision en début d'année. Avant même le début de la saison WSL. Je m’étais déjà posé la question d'arrêter il y a quelques années, mais je n’avais jamais été totalement sûr. J'étais juste fatigué et démoralisé. J'ai commencé jeune, j'ai été très jeune sur le tour mondial, j'ai dépensé beaucoup d'énergie. Le stress, la pression, les résultats, les points, etc… Tout ça m'a pesé pendant longtemps. Cette fois, je n'ai jamais été aussi sûr de moi : je suis certain à 100% que mon choix est le bon.
• Le stress et la pression, c’est le jeu quand on fait du sport à haut niveau…
- Oui. Sauf que moi j’ai vraiment débuté très jeune (il a fait ses premiers Pro Juniors à 11 ans, ndlr). Donc j'ai eu plusieurs périodes où j'ai pensé arrêter. Mais à chaque fois, le compétiteur en moi disait : " Le feeling de gagner est plus fort que tout ". Et comme je détestais toujours autant perdre, que j’avais encore ce feu intérieur, je continuais. Et puis, soyons honnête, j'avais peur à l’époque que ça me manque. Plus aujourd’hui.
• Qu’est-ce qui t’a finalement fait prendre cette décision ?
- La saison blanche en 2020. Cette année off à cause du Covid aura été une année incroyable. Évidemment, je pense à tous ceux qui ont souffert de la pandémie. Mais pour moi, 2020 a été exceptionnelle car je suis resté des mois et des mois avec ma compagne et ma fille. Financièrement ça n’a pas été terrible, mais j’ai été si heureux de passer du bon temps avec ma famille. J'ai vécu plein de belles choses que je n'avais plus connu depuis gamin. Le début de cette année-ci a confirmé que c’était ce que je voulais désormais vivre. Le feu en moi était moins fort, j’avais moins la motivation.
• On t’a effectivement vu moins guerrier sur les CT australiens…
- Ce n’est pas un secret de dire que je m'entraîne moins. Je suis moins affûté et je donne l'opportunité aux autres de me battre. En début de saison en Australie, j'ai perdu des séries que je n'aurais jamais perdu avant. Ça m’a énervé. Je ne voulais pas devenir ce surfeur qui se laisse battre par n’importe qui.
• La qualité des vagues en Australie n’a pas non plus été celle que tu affectionnes, n’est-ce pas ?
- C’est ça. Désormais, les conditions sont même souvent assez médiocres sur les CT. Et comme je suis meilleur dans les belles vagues, je galère vraiment quand c'est petit. Et puis on le sait, je suis dépassé avec les manœuvres aériennes. La direction que prend le surf ne me correspond plus. J'ai vécu les plus belles années du Dream tour. C’étaient des épreuves de dingues dans des vagues de dingues, avec une mentalité plus familiale. L'ambiance était exceptionnelle. Si le surf a aujourd’hui pris une ampleur phénoménale, je ne me reconnais plus dans ce monde-là.
• C’est donc toutes ces raisons qui te font arrêter…
- Oui, c’est tout ça. Mais ma famille est bien la raison numéro 1. Mon rôle aujourd'hui est d'être un père de famille, un bon papa. Ma priorité est que ma fille et ma compagne aillent bien. Du coup, je ne suis plus assez focus sur la compétition. Au plus haut niveau, tu ne dois t’occuper que de toi. Si tu penses davantage à ta famille qu’au surf, tu ne gagnes plus. Je ne me voyais pas non plus partir des semaines ou des mois sans elles. J’ai donc décidé de dire stop.
• Tu as plusieurs fois hésité à t'arrêter. Tu aurais pu prendre ta "retraite" il y a 4-5 ans déjà. On se souvient de ces années où tu n'avais plus la flamme. Qu'est-ce qui t'a fait tenir jusqu’à aujourd’hui ?
- Il y a eu des moments où je n'avais plus le moral. J'avais même des côtés sombres… J'étais dépressif, j'avais des crises d'anxiété. Il y avait trop de monde focalisé sur moi, j’avais tous les projecteurs sur moi, les médias ne parlaient que de moi. Tout ça me pesait et je ne le supportais plus. Mais à aucun moment je n'ai eu envie d'arrêter le surf. C’était ma passion, et c’est toujours ma passion. Mais c’était mon métier aussi. Le seul que je n’ai jamais eu. C’est ça qui m’a fait tenir. J’ai arrêté l'école très tôt, je n'ai pas de diplôme, le surf est toute ma vie et je la gagne en surfant. Je viens d'un milieu modeste, j'ai fait d'énormes sacrifices pour arriver où j'en suis. Ça aurait été dommage de tout arrêter, de tout jeter en l'air à cause d'un coup de mou il y a quatre-cinq ans. Quand j'ai su que j'allais être père de famille (en 2018, ndlr), je me suis dit que je ne pouvais pas faire autre chose que surfer au risque de mettre en danger ma famille. J’ai arrêté de pleurnicher et je suis reparti de l'avant.
Tu t’es confié il y a quelques temps sur ces années très difficiles que tu as vécues. A l’image de sportifs qui en parlent ouvertement aujourd’hui, comme la Japonaise Naomi Osaka ou la gymnaste Simone Biles, tu as souffert psychologiquement…
- Devenir sportif de haut niveau est un choix qu'on fait quand on est jeune. J'ai eu la chance de le devenir grâce à ma passion. C’était un rêve absolu. Et puis le surf est un sport plutôt cool. Mais tu donnes tellement d'énergie, tu veux tellement bien faire, tu es si focalisé sur un but unique, qu'à un moment tu peux exploser. Tu ne peux pas être tout le temps parfait. Le sport de haut niveau peut t'atteindre psychologiquement. J'ai effectivement vécu des moments très difficiles. Quand tu atteints un tel niveau, que tu es en permanence cité en exemple, tu veux toujours montrer une image de quelqu’un de fort. Mais quand tu rentres à la maison, ce n'est plus la même chose...
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