Il fallait s’y attendre. Les représentants de l’institution judiciaire à La Réunion ne pouvaient rester sans réaction face aux graves mises en cause proférées par le procureur de la République Philippe Muller. Ce lundi soir, c’est pourtant "avec regrets" que le procureur général Claude Laplaud et le premier président de la cour d’appel Dominique Ferrière se sont exprimés face à la presse.

"Ces affaires auraient gagné à un dénouement plus discret", a commencé le premier. "On n’a aucun plaisir à le faire, tout cela aurait dû rester en interne", a complété le second. Oui mais voilà, après avoir écrit à Christiane Taubira, Philippe Muller a choisi, ce vendredi, le grand déballage sur la place publique, ce qui méritait une réponse de sa hiérarchie. Et celle-ci s’est avérée à la hauteur de la charge du procureur de la République contre le fonctionnement de la justice réunionnaise. "Je l’affirme haut et fort : c’est odieux !", a lancé Claude Laplaud, un terme auquel Dominique Ferrière a dit "totalement souscrire".

Sans aller jusqu’à accuser directement Philippe Muller de mensonges, le procureur général a relevé "beaucoup d’inexactitudes" dans l’argumentaire de ce dernier : "quand il parle de règlement de compte politique, d’une mutation machiavélique ou quand il dit qu’il n’y a rien dans le dossier".

Un long réquisitoire

Il s’est d’ailleurs attaché à le démontrer dans un long réquisitoire contre son procureur de la République. "Il dit que le dossier est vide, mais le dossier qui a donné lieu à son avertissement fait pas moins d’une vingtaine de centimètres d’épaisseur, son audition le 24 avril a duré 6 heures, le procès-verbal fait 22 pages et la décision 10 pages et demie !", a-t-il détaillé.

S’en est suivi tout le rappel des faits, des premières difficultés en juin 2013 "avant même son audience d’installation", des difficultés "qui n’ont fait que croître", provoquant la mobilisation "des trois syndicats", la saisie du CHSCT, mais aussi "des mises en garde répétées" ou encore la venue à Saint-Denis de deux sous-directrice des services judiciaires et les arrêts de travail de plusieurs magistrats.

Bref, "on a tout essayé" estime Claude Laplaud. "Mais en dépit de multiples mises en garde, le procureur de la République de Saint-Denis, par un déni de réalité et une incapacité à gérer son service, a laissé s’installer une crise profonde", poursuit-il. Le verdict est sans appel : "Il est incapable de manager une équipe et c’est ce constat qui a conduit à une mutation dans l’intérêt du service."

"Une erreur de casting, ça arrive..."

De son côté, Philippe Muller met en avant son "excellent dossier", ses "bonnes notations", ayant motivé sa mutation à la tête du parquet le plus important d’outre-mer. "Comment aurait-on pu me nommer à un tel poste si j’était si nul et incompétent ?", s’interroge-t-il.

S’appuyant sur quelques articles de la Voix du Nord (Philippe Muller était en poste à Dunkerque avant d’arriver à La Réunion, ndlr), Claude Laplaud a la réponse : "Quand il est arrivé, il n’y avait rien dans son dossier, que des éloges. C’est que quelqu’un n’a vraisemblablement pas dû faire son travail. De toute évidence, il s’est passé des choses..." "Une erreur de casting, ça arrive...", a jugé plus sobrement Dominique Ferrière.

Ce que les deux hommes ne digèrent surtout pas, c’est que Philippe Muller "se présente comme le chevalier blanc". Et Claude Laplaud de développer : "Il s’érige en bienfaiteur de l’île, comme s’il se débattait tout seul au milieu de gens tous corrompus... Mais en un an, il n’a pas adressé une seule instruction de politique pénale en matière économique et financière. D’ailleurs j’attends qu’on me dise quelle affaire il a sortie !"

L'instrumentalisation d'Éveil Citoyen 974

C’est logique, la charge de Philippe Muller contre une "justice de métro" ne passe pas. "S’il y avait eu ce genre de choses, des discriminations, cela se saurait, cela aurait provoqué une émotion légitime", souligne Dominique Ferrière. "Il s’appuie sur l’instrumentalisation d’un tout petit nombre de personnes dont on connaît bien les dossiers et dont on peut comprendre qu’ils aient du mal à admettre certaines décisions de justice", complète-t-il en parlant du collectif de justiciables Éveil Citoyen 974. Le premier président de la cour d’appel en rajoute une couche : "Il s’arroge le fait qu’il est défendu par de petites gens, il emploie un langage populiste qui peut séduire, mais c’est faux."

Ce dernier épisode entre Philippe Muller et sa hiérarchie a donc achevé de consumer le peu de torchon qu’il restait entre les deux parties. Désormais, alors que le procureur de la République de Saint-Denis va saisir le conseil d’État pour contester sa mutation, Claude Laplaud et Dominique Ferrière attendent avec impatience le décret présidentiel compostant définitivement le billet de Philippe Muller pour la cour d’appel de Grenoble.

En espérant également, cerise sur le gâteau, une procédure disciplinaire suite aux propos du procureur de la République. "Je pense que la mise en cause publique de ses collègues pour quelque chose qui n’existe pas (...) est un procédé ignoble, déloyal et diffamatoire, constitutif à mes yeux d’un manquement déontologique", achève Claude Laplaud. La séance est levée.

Guilhem George pour www.ipreunion.com